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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/183

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riche ou bourgeois aisé d’aujourd’hui, son grand-père ramait sur les galères ou cassait des pierres sur les chemins.

Qu’est-ce que tout cela, au demeurant, pour l’Anglais ?… All right ! tout va bien, pourvu que l’argent roule et que le commerce marche ; car, pour devenir un Anglais parfait, il ne suffit pas d’avoir été meurtrier, fût-ce parricide, il faut encore savoir faire fructifier le bénéfice de ses rapines, gagner de l’argent, tout est là. Joli peuple que celui-là ! et protestant fanatique, par dessus le marché ! Rien ne lui manque, on le voit.

Au moral comme au physique, comme au point de vue religieux, il est hideux, et l’on ne sait jamais, en définitive, à quelle sorte de cuistre l’on s’adresse, quand on parle à un Anglais.

Avec cela, du cant. Le cant est cette pruderie, cette réserve affectée, cette pose d’austérité, qui recouvre et sert à cacher le vice. Singapore est une des patries du cant.

Étudiez d’un peu près l’Anglais. Tout de suite, vous reconnaîtrez à son allure le sectaire, l’hérétique modelé sur le type d’Henri VIII ou sur celui de Cromwell, le mômier dont la fausse vertu apparente masque toutes les dégradations morales et autres ; le puritanisme anglais est le manteau d’hypocrisie par excellence, et l’individu, en dépit de son aspect austère, est bien l’hérétique forcené, mais captieux, dont l’impiété satanique revêt les dehors d’une religion faite de paradoxes rationalistes. Frottez le luthérien, a-t-on dit ; au-dessous, vous trouverez l’impie pétri d’orgueil, le révolté irréligieux, le luciférien déguisé. Grattez le protestant anglais, dirons-nous ; sauf chez le puséiste, rare exception, vous trouverez le criminel plus ou moins conscient, et souvent le criminel doublé d’un sataniste.

On juge quelle triste société doit contenir Singapore, faite de la réunion de ces divers éléments. Rien d’étonnant aussi à ce que la maçonnerie et le culte du démon y prospèrent, trouvant un milieu si favorable à leur développement.

Mais ce n’est pas tout ; Singapore est un caravansérail. Au-dessous de cette société anglaise, corrompue jusqu’aux moëlles, grouille une tourbe innombrable et cosmopolite, faite de Chinois, de Malais, d’Indiens, dont les plus civilisés en apparence sont en vérité les plus sauvages. Du sectaire à la brute, à l’animal même, il y a une gradation bestiale, très curieuse pour l’observateur, pour le psychologue ; et cette échelle bizarre, le franc-maçon protestant anglais en est l’expression étonnante et comme le répertoire, le résumé complet.

Aussi, quelle vie abominable sur le bord de cet abîme que j’ai décrit ! La vie de l’homme ressemble à celle de la bête ; il y a là je ne sais quoi de tors, d’antinaturel et d’infernal.