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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/302

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appartenant à des rites en correspondance avec le nôtre, c’est au frère le plus haut gradé d’entre eux qu’est réservé l’honneur de trancher la tête de l’élu…

À ces paroles, je sursautai ; il me sembla que je recevais le choc d’une poutre en pleine poitrine. Le grand-sage continua :

— Or, mes frères, nous avons aujourd’hui parmi nous, comme visiteurs estimés et vénérés, deux 33es du rite écossais pourvus du grade de Kadosch du Palladium, et un grand-maître ad vitam du rite de Memphis, 90e degré, pourvu, en outre, du grade palladique de Hiérarque et membre même du grand triangle le Lotus de Charleston. Il n’y a donc pas d’hésitation possible de notre part pour savoir à qui de ces trois éminents visiteurs revient l’honneur de faire entrer notre bien-aimé frère Yéo-hwa-tseu dans la gloire céleste ; c’est lui, l’éminentissime Hiérarque de Charleston qui doit trancher la tête du saint choisi parmi les saints par notre Dieu.

À cette apostrophe, le ciel s’écroulant sur moi ne m’eût pas écrasé davantage. Sur le coup, je fus anéanti, d’autant plus qu’immédiatement Yéo-hwa-tseu se tourna vers moi, en étendant ses bras mutilés, dégouttant de sang, et me cria en anglais, d’une voix vibrante :

— Frère de Charleston, coupe-moi la tête ! Frère de Charleston, ne me refuse pas cet honneur !

En même temps, Yeu-sing descendait de l’orient, me remettant l’arme odieuse dont il venait de se servir, et un frère servant m’apportait une des trois coupes auxquelles j’ai fait allusion il y a un instant.

— Bois, très illustre frère, dit le grand-sage, m’interpellant directement, bois le breuvage d’honneur préparé pour nos amis du Palladium. Bois, mon frère, et sois en santé parfaite jusqu’au jour où notre Dieu t’appellera à lui !

Je ne savais plus ce que je faisais. D’une main, je saisis le glaive ; de l’autre, je pris la coupe que le servant me tendait, et je bus. Autant qu’il m’en souvient, c’était un breuvage presque fade ; je ne saurais mieux le comparer qu’à de l’eau de source, pas fraîche, et qui, en quelque sorte, serait épaisse comme de la crème, avec un soupçon d’essence de rose pour tout goût. Ce n’était ni bon ni mauvais. Il était impossible de deviner de quoi ce liquide se composait.

À peine venais-je de boire, que je sentis le sang affluer à mon cerveau ; j’étais comme dans un tourbillon ; je tombai assis sur mon siège, mais pour me relever aussitôt ; je m’appuyai d’abord sur le glaive qui m’avait été remis, comme sur une canne, me sentant les jambes brisées ; puis, brusquement, je devenais léger, souple, vigoureux ; il me semblait que, d’un coup de poing, j’aurais pu défoncer une muraille. En quelques se-