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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/326

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teur Mackey ! Les deux vieillards se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, comme deux frères qui ne se seraient pas vus depuis vingt ans ; et cependant, Albert Pike venait à Charleston régulièrement une fois par mois.

Je viens d’appeler vieillards le chef suprême de la haute maçonnerie et son premier lieutenant ; en effet, en mars 1881, Albert Pike avait soixante-douze ans, et Gallatin Mackey, soixante-quatorze ; mais, tous deux, ils étaient verts et robustes. Pour le docteur Mackey, un gaillard à la solide charpente, taillé en hercule, rien ne faisait prévoir sa fin prochaine ; il est mort, en paisible villégiature, le 20 juin de cette même année, à Fortress-Monroë. Albert Pike, lui, devait fournir encore dix pleines années de la plus active existence.

Certes, comme pape du Satanisme, on ne pouvait trouver mieux, et Adriano Lemmi, qui essaie aujourd’hui de prendre la prépondérance dans la franc-maçonnerie universelle, n’a pas, il s’en faut de beaucoup, la superbe prestance du dernier souverain pontife luciférien de Charleston.

De haute taille, d’un corps droit, inflexible malgré les années accumulées, Albert Pike, avec sa grande barbe, ses longs cheveux blancs, ses yeux vifs pleins de flamme, m’apparut comme un patriarche des temps anciens, mais un patriarche dont on lisait, sur le front soucieux et dans le regard fanatique, le caractère si reconnaissable du sacerdoce maudit, cette expression étrange qui ne trompe pas l’observateur et qui est la marque distinctive des damnés. Je donne ci-contre son portrait authentique, d’après photographie, entouré des portraits des dix membres du Sérénissime Grand Collège au 1er mars 1891.

En tant qu’homme, une vivante énigme. Je ne sache pas quelqu’un ayant réuni en soi autant de contrastes. Ainsi, cet homme, qui, toute sa vie durant, ne cessa de décolérer contre le catholicisme, contre Dieu, cet homme, qui avait le diable au corps, — et c’est bien ici le cas d’employer cette expression, — cet enragé impie avait, en même temps, des goûts que, chez tout autre, on considérerait comme le témoignage d’une placidité parfaite de conscience. Je citerai, notamment, sa prédilection pour les oiseaux, qui tournait vraiment à la manie. Sa maison, à Washington, n’était pas un domicile humain, mais une véritable volière : partout des cages, proprettes, bien entretenues, lui assurant la compagnie constante de cent volatiles divers, au gazouillement desquels notre Albert Pike se délectait ; sans oublier que bon nombre de ces oiseaux, serins hollandais, petites perruches naines dites inséparables, rossignols du Japon, étaient familiers, obtenaient, au moment des repas, l’ouverture de leurs cages, pour venir voleter dans la salle à manger, aux fenê-