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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/384

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lique, dont un vrai palladiste ne devait jamais se servir ; Satan, c’était le diable, et il fallait dire Lucifer, qui n’est pas le diable. Bref, mon Pike s’emballa dans un discours, qui me parut plein de distinctions subtiles, et je crois fort que le récipiendaire n’y comprit rien. Finalement, celui-ci eut sa réception ajournée, pour avoir dit « Satan » au lieu de « Lucifer » ; il fut confié à un Mage Élu, chargé de parfaire son instruction, attendu qu’on l’avait jugé dans de bonnes dispositions et digne d’être admis dans un triangle, sitôt qu’il aurait compris la différence entre Lucifer et Satan.

La séance, passablement longue, fut coupée par une récréation, au cours de laquelle je bavardai dans les pas-perdus avec Chambers, Webber et Sophia. Chambers s’offrit à me faire visiter le lendemain les curiosités de l’immeuble. Nous primes rendez-vous pour l’après-midi.

Le matin, je me levai de bonne heure, et j’allai, par la ville, respirer le bon air, tout en inspectant les monuments. Pourtant, j’en eus vite assez, de cette inspection. J’éprouvai je ne sais quel besoin de rêverie ; je pris les quais qui bordent l’Ashley, pour marcher maintenant au hasard le long de la rivière, en m’abandonnant au caprice des idées diverses qui se heurtaient, s’entrechoquaient dans mon cerveau. Je m’applaudis sais, en moi-même, de l’heureux succès de mon entreprise. Le suprême grand-maître ne m’avait pas vu de mauvais œil ; bien mieux, comme ma patente de Hiérarque m’avait été délivrée par Philéas Walder dans des conditions régulières, il est vrai, mais qui ne se présentent pas souvent, Albert Pike avait consacré mon admission en apposant sa signature et son sceau à côté de la signature et du sceau du père de Sophia.

Je songeais à tout cela, à Calcutta, à Singapore, à Shang-Haï ; je demandais mentalement au ciel de me continuer sa protection ; j’escomptai l’avenir, supputant ce que j’avais encore à faire pour conduire ma mission à bonne fin. Il pouvait être environ neuf heures ; bientôt, dans ma promenade, j’allais sortir de la cité.

Tout-à-coup, j’entendis derrière moi une voix de jeune fille, qui disait :

— Docteur !… Hé ! docteur !… N’allez donc pas si vite, ou l’on ne pourra plus vous rejoindre !…

Je me retournai, et je vis Mlle Walder, arrivant essoufflée. Je m’arrêtai, je la saluai. Elle était seule, et je n’en fus nullement surpris, connaissant les mœurs américaines : dans ce pays, les jeunes miss vont où elles veulent, sans être jamais accompagnées, si cela leur convient ; c’est là l’éducation protestante.

En quelques instants, Mlle Walder fut auprès de moi. Elle me donna, sans façon, une grande poignée de main. Nous avions dîné la veille, chez