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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/538

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au chef qui daigne visiter les soldats !… Fils de notre maître, tu es notre maître ; parle, ordonne, nous t’écouterons, nous t’obéirons… À moi, mes frères, fit-il en terminant (car j’abrège) ; unissez-vous à moi par les sept cris de gloire et par le signe de notre rite ; en l’honneur de notre frère, représentant légitime du Dieu-Bon, confondons nos cœurs et nos voix.

Il dit les dernières phrases en volapuk, en se retournant vers l’assemblée. Aussitôt, tous les bras s’agitent traçant le signe spœléïque, tandis que, en une vocifération véritablement infernale, sept mots incompréhensibles, poussés par ces poitrines de démons humains, ébranlent un instant les voûtes de la caverne, la faisant vibrer et frissonner[1].

Ce vacarme est suivi d’un grand silence, comme avant la harangue ; et pendant que tout reste morne, Tubalcaïn s’approche de moi et me remet ce qu’il avait dans la main.

C’était un bouquet en métal forgé, aux fleurs monstrueuses, ne ressemblant en rien à ce que produit la nature. Ce bouquet se composait, cela se voyait à première inspection, des sept métaux de la haute magie, du satanisme. Je regardais ces fleurs aux pétales biscornues, hirsutes, aux étamines et aux feuilles étranges comme disposition et comme structure ; ces feuilles n’étaient ni alternés ni opposées, mais en échelle spiraloïde, par sept, par quatorze, par vingt-et-un, formant une hélice satanique qui répétait, d’une façon muette, mais expressive, le nom maudit. Puis, de tous côtés, se dressaient des piquants métalliques, hérissant le bouquet. Ici, c’était une rose mousseuse en fer noirci qui ressemblait à une araignée velue ; là, un souci en cuivre rouge ; plus bas, le taraxacum dens leonis (pissenlit), en acier. Pourquoi ces trois fleurs, et pas d’autres ? parce qu’elles sont cabalistiques. Ce ne sont pas des fleurs, en vérité ; on croirait voir des serpents, des crapauds, des scorpions ; et immédiatement ma pensée se reportait à Singapore, à la faune et à la flore à rebours que j’y avais vues. Quel rapprochement !

J’approche, sans savoir pourquoi, machinalement, le bouquet de mes narines. Il pue l’acide sulfureux. Ce sont là, en effet, les fleurs qui ornent l’autel du diable aux grandes fêtes lucifériennes, fleurs du mal, fleurs du roi des réprouvés.

Je regarde encore : elles sont toutes unies par une tige commune, qui est comme la queue, le support du bouquet ; des fleurs de trois espèces différentes, sur un même tronc ! Un coup d’œil sur la forme de la tige m’en fait de suite comprendre le sens mystérieux, sens qui peut se tra-

  1. Il m’est impossible, ici, de préciser. Le Rite Spœléïque étant une branche du Palladisme, spéciale à Gibraltar, il n’en existe qu’un rituel unique, manuscrit, entre les mains du chef du laboratoire, le frère Athoïm-Olélath. N’ayant plus rien à faire désormais avec les spœléïques, j’aurais fait naître des soupçons, si j’avais demandé à copier ce rituel volapuk.