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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/572

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minutes environ se passèrent sans que rien ne se produisit. Je résolus de l’encourager, et, pressant imperceptiblement sur le guéridon, je le fis craquer. Le médium ne put retenir un léger mouvement de surprise. Lequel des deux ? pensait-il, l’imbécile de suédois ou le madré français ? et il parut perplexe. Moi, comme de juste, je repris mon air le plus indifférent, à demi endormi, de l’homme qui ne pense à rien, ou dont la pensée est ailleurs. Puis, je donnai encore une imperceptible secousse.

— Ah ! fis-je en même temps avec une bonhomie parfaite, voilà que ça remue.

Et cela comme si tout à coup j’étais rappelé au sentiment de la situation.

Enfin, je donnai une troisième secousse, cette fois l’air très surpris à la fois et intéressé.

Le suédois, lui, écarquillait démesurément les yeux, rougissant, puis pâlissant par intervalles, semblable à quelqu’un qui fait de gros efforts.

Il était évident qu’il se concentrait. Il avait senti les secousses, et, les attribuant à la présence d’un esprit qui se manifestait, il poussait intellectuellement, les nerfs tendus ainsi que la pensée, hypnotisé devant ce guéridon dont il attendait des phénomènes concluants.

C’était, on le voit, un croyant de bonne foi. Et tellement il se concentrait dans la volonté absolue et impérieusement dominante que ce guéridon parlât et remuât, qu’un frémissement fibrillaire imperceptible, comme un frisson à fleur de peau, secouait son système musculaire, des bras surtout, des épaules et des avant-bras, et qu’il en suait des mains, sueur qui s’évaporait en une buée dont l’acajou poli de la table était terni à vue d’œil.

Ah ! avec celui-là, il n’y avait pas à se gêner ; il croyait au fluide et essayait d’en émettre, de pousser intellectuellement au fluide et de le forcer à descendre dans ses bras et ses mains pour se mettre en communication avec l’esprit.

Tout à coup, inconsciemment, il eut, lui aussi, un mouvement imperceptible, une sorte de contracture de biceps qui s’étendit aux extenseurs de l’avant-bras. À cette onde musculaire, qu’il sentait se produire et qu’il prenait évidemment pour le fluide qui circulait et descendait, un toc dans le guéridon répondit.

Je ne laissais pas échapper l’occasion et je poussai légèrement de mon côté ; un deuxième toc, plus fort cette fois, retentit, et pendant que je tournais la tête vers le président pour lui dire : « Cette fois, je crois que nous y sommes », le médium profita de cette embellie pour se risquer de plus belle et à son tour.

Il avait, lui, une main seulement sur le guéridon ; mais, au lieu d’être carrément, comme nous, assis devant et près, il se tenait à une certaine