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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/584

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et enfante les merveilles des civilisations, tandis que cette âme a une fin causale nécessaire, la récompense ou le châtiment qui la sanctionnent tous deux, le peresprit, par contre, se présente à nous comme une chose hybride, une sorte de mannequin, éternellement ballotté entre l’âme et le corps dans l’infini du vide, sans sanction.

« En quoi donc y a-t-il besoin de ce peresprit ? où est sa raison d’être ? Je la cherche vainement, sans la trouver. Qui nous a dévoilé son existence ? Des gens quelconques, des hallucinés quelconques sans autorité, sans prestige, sans même l’ombre d’une tradition. Où est le Temple ou même l’Église qui l’a prêchée à ses fidèles ? où et quand un dieu en a-t-il parlé ? Lucifer ou seulement Adonaï ont-ils révélé quelque chose à cet égard ? Aussi haut que remonte la tradition humaine, il n’y a rien.

« Avons-nous eu, nous, nous qui recherchons avant tout la vérité, avons-nous eu quelque chose qui démontre ou nous fasse intimement ressentir la nécessité absolue de ce peresprit ? Non, rien encore ; alors, concluez.

« La preuve qu’il existe, répondra-t-on, ce sont ses manifestations.

« Belles manifestations, en vérité ! et je conseille bien d’en parler !… Alors que l’âme se révèle à moi par la musique, par la sculpture, par la poésie, par toutes les conceptions géniales de la pensée humaine, et par les créations qui en découlent, tandis que l’âme, invente, crée, prévoit, le peresprit, que fait-il ?… Il se manifeste à moi par des jongleries indignes, des coups ridiculement frappés dans un guéridon, des conversations à bâtons rompus qui me prouvent qu’il ne sait ni l’histoire ni même l’orthographe, ce qui est plus grave, avouez-le.

« Mon âme fuit le monde ; mais elle laisse, après son départ, des traces de son travail, de ses manifestations dont la civilisation tout entière, sciences et art, est faite.

« Que laisse le peresprit après lui ? Rien ; quelquefois un pied de table ou de chaise cassé, et un sentiment de lassitude dans les reins.

« Et alors que l’âme se manifeste et prend pour ses intermédiaires des génies dont les noms sont sur toutes vos bouches, des hommes dont le souvenir restera impérissable tant que l’humanité sera, le peresprit se manifeste par qui ? Messieurs, je vous le demande. Par les deux acolytes suspects que vous avez vus là. Voyons, tout cela tient-il debout ?

« Je viens, messieurs, de vous démontrer, je crois, autant que humainement cela peut se faire, que le peresprit n’existe pas, que cette hallucination enfantée par des cerveaux malades, par des individus sans aucune notoriété, est un moyen de mystifications, inspirées le plus souvent par l’escroquerie devenue professionnelle. Encore une fois, permettez-moi de vous le rappeler, tout à l’heure je vous ferai toucher du doigt cette vérité.