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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/730

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Tel est, en effet, le langage des sceptiques, qui n’ont rien vu et ne croient à rien, sous prétexte qu’ils n’ont pas vu. Ils font les fendants et s’imaginent que leur argument est triomphant, irréfutable. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils sont, au contraire, les déraisonnables, eux, que tout leur système d’argumentation est le comble de l’absurde.

— Avez-vous été en Chine ? leur dirai-je.

— Non.

— Avez-vous vu Pékin ?

— Non.

— Croyez-vous à l’existence de la Chine ?

— Oui.

— Croyez-vous que la Chine a une capitale qui se nomme Pékin ?

— Sans aucun doute.

— Mais pourquoi croyez-vous alors à Pékin que vous n’avez jamais vu, à la Chine où vous n’êtes pas allé ?

— Parce que des voyageurs sont allés en Chine et ont vu Pékin.

— Cependant, continuerai-je, il est bien invraisemblable qu’il existe un pays où les gens naissent et vivent jaunes comme des citrons, ont la tête rasée sauf un bouquet de cheveux qui pend en une interminable tresse, sont dotés unanimement d’un nez large et aplati, d’yeux fendus tout droit comme avec un couteau et allant en pointe vers les oreilles, d’un menton toujours court, de lèvres uniformément grosses et charnues, d’oreilles ridiculement grandes et éloignées de la tête, des gens qui dans un visage rond ont les pommettes saillantes, pointues, qui, quel que soit leur sexe, portent des pantalons vastes à loger une patte d’éléphant, qui mangent en faisant sauter leur nourriture du plat dans la bouche au moyen de petits bâtons manœuvrés comme des baguettes de tambour, et qui s’habillent tout de blanc quand ils sont en deuil… Regardez autour de vous. Franchement, est-ce que l’humanité est aussi grotesque ? Voyons, mon cher ami, veuillez un peu réfléchir, prenez un grain de bon sens. Vous et vos voisins, vous êtes blancs de peau ; vous avez le sommet et le derrière de la tête couverts de cheveux, et il faut l’âge ou une maladie pour vous rendre chauves ; chez vous, les nez, les yeux, les oreilles, les lèvres, les mentons sont de formes variées, et, en tout cas, en dehors d’exceptions rares, les visages comportent une certaine harmonie ; les sexes se distinguent dans la toilette, c’est la caractéristique de la femme de viser à la coquetterie du costume ; vous mangez avec des cuillers et des fourchettes ; et, quand vous êtes en deuil, vous mettez des vêtements noirs… Et vous avez pu croire une minute, une seconde, qu’il existe une contrée où les habitants soient au rebours de l’humanité que vous con-