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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/760

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l’obsession scientifique. Un moment, toutes idées se brouillèrent dans ma pauvre cervelle humaine ; et, quand je réagis, il était temps. Mais aussi, comme mon histoire, dans cet épisode, prouve que le diable, alors même qu’il croit toucher à la victoire, n’est qu’un agent passif des impénétrables desseins de Dieu ! L’esprit mauvais pensait me tenir, cette fois ; il se manifesta, croyant frapper un coup décisif, et ce fut son apparition qui chasse de mon raisonnement bouleversé l’erreur qu’il s’efforçait d’introduire en mon âme.

Donc, nous avions passé Gibraltar ; nous voguions maintenant sur l’Atlantique, et nous devions, par conséquent, arriver à Londres quelques jours après, — exactement, le mardi de la semaine suivante à deux heures après midi, — et cela sans plus voir de terre, c’est-à-dire en ne relevant plus que le feu de Finistère à toute portée.

Six jours de monotonie et d’ennui entre ciel et terre. Notez que nous n’avions pas de passagers et que par conséquent les heures se seraient écoulées terriblement assommantes pour moi si je n’avais en, toujours en prévision de ces cas, une provision de travail sur la planche ; et ici le mot « planche » est le vrai, étant donnée la planche à glissière qui sert de table et de bureau dans nos cabines.

Je mis donc rapidement en ordre et classai à leur fiche, dans mon livre de bord particulier, les incidents de cette rapide traversée de Marseille à Gibraltar ; je glissai le livre dans mon chiffonnier fermé à clef sous mon linge, et je pensai à autre chose.

Tous ces évènements que je documentais alors, tous ces spectacles, coupés pour ainsi dire, auxquels j’assistais pendant cette période, n’avaient pas encore en effet à cette époque le puissant intérêt de suite et de rattachement les uns aux autres que je leur ai reconnu depuis. Alors, je savais déjà quelque chose de ce monde du diable ; je ne doutais pas de son existence réelle, du culte qui lui était rendu, ni de sa direction effective de la maçonnerie universelle ; mais, comme l’étudiant en médecine au début de ses études, qui sait qu’il abordera une science vaste qui va dévoiler à son intelligence des choses extraordinaires, incompréhensibles, dont il ne saisira la clef que dès qu’il sera vraiment initié et au courant de tout, et qui étudie, documente, enregistre des faits, pour plus tard débrouiller ce chaos au fur et à mesure qu’il avancera dans la science, de même, moi, j’enregistrais purement et simplement les faits, avec leurs dates, aussi minutieux fussent-ils et aussi indifférents en apparence tout au moins, sachant que j’aurais occasion de revoir tout cela encore au cours de mes voyages, de m’assurer de nouveau que j’avais bien vu, de me contrôler pour ainsi dire moi-même, de rectifier et de classer enfin à leur véritable place, avec leur vrai