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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/761

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sens, leur portée réelle, les faits disparates à un premier examen superficiel.

Mais ce travail considérable, auquel il m’a fallu me livrer depuis et de l’importance duquel le lecteur se doute bien, je n’aurais évidemment pas pu l’aborder avec fruit à ce moment ; aussi, pour ne pas m’y casser la tête, pour éviter d’en être à mon insu trop préoccupé, pour ne penser au diable en un mot qu’au moment surtout où j’allais me présenter aux réunions occultes de ses adorateurs, et pour bien me borner au rôle de simple enregistreur et me distraire scientifiquement, j’avais entrepris une étude géographique et anthropologique sur le Japon et les Japonais, de façon à arriver déjà préparé, théoriquement au moins, dans ce pays où je devais passer une très longue station.

Et ce n’était pas là une petite affaire, je vous prie de le croire.

Je m’étais fait, avant le départ, toute une bibliothèque à ce sujet, allemande, anglaise, italienne et française ; et bien que je possède les trois premières langues assez couramment pour suivre une conversation, lire des lettres, vivre en un mot dans le pays en homme conscient et pas trop ahuri, je ne les possède pas assez pour comprendre les écrits scientifiques un peu ardus ; d’où, nécessité de l’emploi du dictionnaire. Je m’étais donc créé là un jeu de casse-tête japonais, c’est le cas de le dire, qui m’occupait et m’empêchait de penser au diable et à sa maçonnerie. Je ne voulais pas me créer à cet égard une sorte d’obsession, qui eût pu m’influencer en quoi que ce fût, me faire voir à côté et adultérer à un moment donné l’indépendance de mon esprit, la justesse de mon raisonnement.

Je m’étais promis d’observer en médecin, c’est-à-dire sans haine, sans zèle et sans crainte, et de ne me laisser préoccuper, déconcerter, intimider par rien : confiant du côté de Dieu, en règle et tranquille aussi avec ma conscience ; la prière et le travail m’ont soutenu pendant onze années d’enfer, et jamais ni mes camarades du bord, ni les nombreux passagers laïques et ecclésiastiques avec lesquels j’ai été en rapport, ne se sont douté de ce que je faisais, — mon confesseur, bien entendu, excepté.

Pour en revenir au Menzaleh mon livre du diable fermé, je m’étais remis au Japon, et j’allais, on va le voir, peu à peu m’abstraire dans cette étude.

Je m’étais enfermé pour cela dans ma cabine, dans le calme et le silence ; je n’entendais, tamisé par les cloisons étanches et les boiseries, que le toc-toc doux et monotone de la machine qui ronflait dans les profondeurs du bâtiment ; bruit doux, incitant au travail et à la rêverie.

J’en étais à cette époque aux généralités, et je cherchais à pénétrer le secret de ce pays, nouveau pour moi.