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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/792

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qu’ils se sont faits eux-mêmes. J’admire, dans les anges condamnés, les marques de la puissance et de la libéralité de mon Dieu, et ainsi c’est le Créateur que je loue pour confondre l’ingratitude de ses ennemis[1]


… Il ne faut pas croire que leurs forces soient épuisées par leur chute. Toute l’Écriture les appelle forts. « Les forts, dit David, se sont jetés sur moi », Irrueront in me fortes; par où saint Augustin entend les démons. Jésus-Christ appelle Satan « le Fort armé », Fortis armatus. Non seulement il a sa force, c’est-à-dire sa nature et ses facultés, mais encore ses armes lui sont conservées, c’est-à-dire ses inventions et ses connaissances : Fortis armatus. Ailleurs il le nomme « le Prince du monde, » Princeps hujus mundi, et saint Paul « Gouverneur du monde », Rectores mundi. Et nous apprenons de Tertullien que les démons faisaient parer leurs idoles des robes dont se revêtaient les magistrats, et qu’ils faisaient porter devant eux les faisceaux et les autres marques d’autorité publique, comme étant, dit-il, « les vrais magistrats et les princes naturels du siècle » : Dæmones magistratus sunt sæculi. Satan n’est pas seulement le prince, le magistrat et le gouverneur du siècle, mais pour ne laisser aucun doute sur sa redoutable puissance, saint Paul nous enseigne qu’il en est le Dieu : Deus hujus sæculi.

En effet, il fait le Dieu sur la terre, il affecte d’imiter le Tout-Puissant. Il n’est pas en son pouvoir de faire comme lui de nouvelles créatures pour les opposer à son Maître ; voici ce qu’invente son ambition : il corrompt celles de Dieu, dit Tertullien, et les tourne autant qu’il peut contre leur auteur ; enflé démesurément de ses bons succès, il se fait rendre enfin des honneurs divins ; il exige des sacrifices, il reçoit des vœux, il se fait ériger des temples comme un sujet rebelle qui, par mépris ou par insolence, affecte la même grandeur que son souverain : Ut Dei Domini placita cum contumelia affectans.

Telle est la puissance de notre ennemi, et ce qui la rend plus terrible, c’est la violente application avec laquelle il unit ses forces dans le dessein de notre ruine. Tous les esprits angéliques, comme remarque très bien saint Thomas, sont très arrêtés dans leurs entreprises ; car, au lieu que les objets ne se présentent à nous qu’à demi, si bien que par de secondes réflexions nous avons de nouvelles vues qui rendent nos résolutions chancelantes, les anges, au contraire, dit saint Thomas, embrassent tout leur objet du premier regard, avec toutes ses circonstances, et ensuite leur résolution est fixe, déterminée et invariable[2].


… L’Apôtre nous crie dans l’Épître aux Éphésiens : « Revêtez-vous, mes frères, des armes de Dieu, parce que nous n’avons point à combattre contre la chair ni le sang, ni contre des puissances visibles. »

Pénétrons la force de ces paroles. Ne voyez-vous pas, chrétiens, que, dans toutes les choses corporelles, outre la partie agissante, il y en a une autre qui n’a fait que souffrir, que nous appelons la matière ? De là vient que toutes les actions des choses que nous voyons ici-bas, si nous les comparons aux actions des esprits angéliques, paraîtront languissantes et engourdies, à cause de la matière qui ralentit toute leur vigueur ; mais les ennemis que nous avons à

  1. Premier sermon sur les démons (1re et 2e parties).
  2. Second sermon sur les démons.