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Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/260

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brave homme éprouva cependant un certain déplaisir ; il avait bien compté avoir le colonel pour convive pendant toute la journée du dimanche. Jane, toute rayonnante de joie et de bonheur, fit sortir Rawdon de la prison de dettes et l’emmena dans la voiture qu’elle avait prise pour hâter le moment de sa délivrance.

« Mon cher Rawdon, lui dit-elle, Pitt était parti pour un dîner politique lorsque votre lettre est arrivée, et alors je n’ai pas hésité ; je suis venue vous chercher moi-même. »

En même temps elle lui serrait la main. Peut-être fut-il très-heureux pour Rawdon que sir Pitt ait eu ce jour-là ce devoir ministériel à remplir. Rawdon ne trouvait pas de paroles assez énergiques pour témoigner à sa belle-sœur toute sa reconnaissance. Cette vivacité de sentiments troublait un peu la pauvre petite lady Jane.

« Ah ! lui disait-il dans un transport de candeur, vous ne savez pas combien je suis changé depuis que je vous connais et que j’ai mon petit Rawdy. Il a bien fallu que je changeasse un peu, parce que, voyez-vous, je sens là-dessous quelque chose… J’éprouve… enfin… »

Il laissa sa phrase inachevée, mais lady Jane le comprit néanmoins, et le soir même, après son départ, assise auprès du berceau de son enfant, elle pria humblement le ciel pour le pauvre pécheur accablé du poids de ses égarements.

En sortant de chez elle, Rawdon se dirigea au pas de course vers Curzon-Street. Il était alors neuf heures du soir ; il traversa comme un fou les rues, les carrefours, jusqu’au moment où il s’arrêta enfin tout haletant devant la porte de sa maison. Il recula d’un pas pour s’appuyer sur la grille ; puis, levant avec angoisse les yeux du côté des croisées, il vit le salon tout resplendissant de lumière ; et pourtant ne lui avait-elle pas écrit qu’elle était au lit et malade ? Il resta immobile pendant quelque temps, et la lumière descendant des fenêtres éclairait sa figure pâle et décomposée.

Il tourna sa clef dans la serrure et entra dans la maison. Des éclats de rire partaient de l’étage supérieur. Rawdon portait encore le costume qu’il avait le matin même au moment de son arrestation. Il monta l’escalier sur la pointe du pied ; arrivé à la dernière marche, il s’appuya un moment sur la rampe. Point de bruit dans la maison, on avait donné congé à tous les do-