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Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/261

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mestiques. Rawdon prêta de nouveau l’oreille : il entendit des éclats de rire se confondant avec une voix qui chantait. C’était Becky qui redisait la romance de la nuit précédente. Une voix rauque criait : « Brava ! brava ! » Cette voix était celle de lord Steyne.

Rawdon ouvrit la porte et entra. Il vit au milieu de la pièce une petite table dressée, un souper servi, des vins, de l’argenterie. Lord Steyne était étendu sur le sofa, et Becky assise à côté de lui. L’épouse coupable portait une toilette ravissante de coquetterie et de volupté ; sur ses bras, à ses doigts, étincelaient les bracelets et les bagues ; à son corsage brillaient les diamants que lord Steyne lui avait donnés. Le noble lord tenait une de ses mains dans la sienne, et se penchait pour y déposer un baiser. Mais déjà Becky était debout ; car, glacée de terreur, elle venait de voir devant elle la pâle figure de Rawdon.

Puis aussitôt elle essaya de sourire comme pour fêter la venue de son mari ; mais ce fut seulement une horrible contraction dans les traits de son visage. Lord Steyne se leva aussi en grinçant des dents, la face livide, les regards bouleversés, la fureur dans les yeux.

Lui aussi essaya de rire ; il fit un pas en avant et tendit la main à Rawdon.

« Ah ! vous voilà de retour ! eh ! comment vous portez-vous, colonel ? »

La figure de lord Steyne était affreusement contractée, bien qu’il s’efforçât de faire bon visage à l’indiscret qui troublait la fête.

En voyant l’expression peinte sur la figure de Rawdon, Becky s’était élancée au-devant de lui.

« Je suis innocente, Rawdon ! s’écriait-elle ; devant Dieu, je vous le jure, je suis innocente ! »

En même temps elle se suspendait à ses mains, aux pans de son habit, et ses bagues et ses bracelets étincelaient à l’éclat des lumières.

« Je suis innocente ! je suis innocente !… Dites-lui donc que je suis innocente ! » s’écriait-elle de nouveau en se tournant vers lord Steyne.

Mais lui, pensant qu’il était victime d’un guet-apens, était aussi furieux contre la femme que contre le mari.

« Vous innocente ! hurlait-il avec d’épouvantables jurements ;