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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/102

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I
LA BIBLE

La place de la question religieuse dans la pensée et dans l’œuvre de M. Maurras est considérable. Il lui a consacré entièrement quatre volumes Le Dilemme de Marc Sangnier, la Politique Religieuse, l’Action Française et la Religion Catholique, Le Pape, les Catholiques et la Paix, et il n’est pas un de ses autres ouvrages qu’elle n’occupe de façon prépondérante. D’autre part, et bien que M. Maurras ne professe pas la religion catholique, ses idées ont exercé leur principale influence dans le monde catholique. Pour des raisons de doctrine et des raisons de tactique, il s’est beaucoup préoccupé de cette influence. Jusqu’ici quatre livres entiers ont été consacrés à ses idées, l’un bienveillant, les trois autres hostiles : tous quatre émanent de prêtres, le P. Descoqs, l’abbé Laberthonnière, l’abbé Lugan, l’abbé Pierre.

L’attitude religieuse de M. Maurras n’est pas très originale, mais elle est fort intéressante. La plupart de ses idées se trouvent chez Auguste Comte, mais ne paraissent pas lui avoir été empruntées. Elles sont données spontanément, fruits natifs de terroir, dans le Chemin de Paradis, contes philosophiques que M. Maurras écrivit lorsqu’il n’avait pas dépassé de beaucoup la vingtième année, et lorsque l’influence du positivisme, découvert plus tard, ne s’était pas exercée sur lui. Il paraît même, ainsi que nous le verrons, les avoir emportées du collège ecclésiastique où il fut élevé. Elles peuvent se résumer en quelques mots.

D’un riche tempérament qui semblait prédisposé au règne de l’anarchie et de la passion, et qui débuta par là, M. Maurras fut conduit à la haine de l’anarchie et à la passion de l’ordre par l’amour des images esthétiques et le goût des belles idées. Il ne mit de l’ordre en lui qu’après avoir contemplé du dehors les figures de l’ordre, et l’ordre a toujours gardé pour lui une réalité visuelle extérieure, plastique. Éloigné par cette nature morale, presque repoussé par cette nature visuelle, du christianisme qui est un sentiment intérieur, une réforme intérieure, un monde intérieur, M. Maurras était porté, au contraire,