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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/103

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à admirer dans l’Église catholique romaine une image monumentale de l’ordre. Ayant misé, de toutes ses puissances, sur le tableau de l’ordre, il ne pouvait éprouver pour l’Église, figure de l’ordre, que cette admiration de connaisseur ressentie par un compagnon maçon du tour de France devant la vis de Saint-Gilles.

Sa méfiance vis-à-vis du christianisme intérieur, sa confiance dans l’Église catholique, M. Maurras les a conciliés en formulant, dans ses divers écrits, une somme du christianisme non intégré en catholicisme et une somme du catholicisme en tant qu’il impose à tous les éléments esthétiques et moraux, politiques et religieux du règne humain sa forme romaine et sa discipline monarchique. La première somme c’est le mal, la seconde c’est le bien. La première représente le désordre moral, intellectuel, politique, la diversité et l’individuel. La seconde représente l’ordre politique, intellectuel et moral, l’unité et le social. C’est la systématisation rajeunie de certaines vues du Cours de Politique Positive.

Pour en traiter selon la loi d’unité qui est la vraie, M. Maurras unifie la première somme, la première table, la mauvaise, à l’image et à l’exemple de la seconde, la bonne. Comme l’autorité romaine figure la nef de l’ordre, la Bible hébraïque est la pierre sur laquelle est bâtie la maison du désordre. De là dans la partie négative des idées religieuses de M. Maurras le même monarchisme intellectuel, la même unité que dans sa partie positive. Caligula voulait que le peuple romain n’eût qu’une tête, afin de l’abattre d’un coup. M. Maurras donne cette tête unique à l’objet de ses haines du même fond dont il en impose une à l’État de son choix.

Cette tête unique, c’est la Bible, où celui qui l’a écrite, le Juif. L’animosité de M. Maurras contre l’un et l’autre a deux sources, l’une terrestre, l’autre plus idéale.

D’abord l’antisémitisme qu’à ses débuts littéraires il a trouvé fleurissant et vivace entre les pavés du boulevard et dans la presse de droite. Si l’on réfléchit un instant, de manière toute historique, à la nature de ce mouvement, on s’aperçoit qu’il n’a de sens et d’existence qu’à Paris, et, dans Paris, qu’il est plus particulièrement encore limité aux milieux du journalisme, de la littérature et de l’art. Le talent vigoureux de Drumont, la présence de financiers juifs au centre des scandales de Panama, et l’affaire Dreyfus, malgré l’agitation qu’ils ont provoquée, n’ont pas réussi à l’étendre de façon durable dans l’ensemble du pays. On aurait tort d’en conclure qu’il est tout factice.