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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/124

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sans cesse tout en question en le faisant passer par la critique individuelle toute-puissante, en le reprenant dès ses racines.

Mais si le pouvoir spirituel ne dispose pas de moyens matériels, directs ou indirects, il n’est pas un vrai pouvoir, et s’il en dispose, il n’est plus un pouvoir purement spirituel. Et toute séparation de pouvoirs, dans tout état social ou dans toute constitution écrite, reste théorique, ne s’applique qu’à des limites. Cela dit pour expliquer qu’une telle question admet nécessairement un certain flottement, et que le terme de pouvoir spirituel, bien que sa définition soit claire, comporte pourtant selon les cas des aspects très différents. De là les figures peut-être inattendues que nous lui verrons prendre au cours de cet exposé.

C’est une idée familière à M. Maurras que, la démocratie étant l’anarchie, la France ne fait encore figure politique que parce que la République est conduite, sous figure de démocratie, par quatre aristocraties qu’il dénomme les Quatre États confédérés, juif, protestant, maçon, métèque. De ces quatre États, le deuxième, le protestant, conduit depuis quarante ans, selon M. Maurras, le spirituel de la France. Il y a là tout un côté de la vie politique et spirituelle française sur lequel M. Maurras, par la grande influence qu’il exerce sur la génération actuelle, force d’ouvrir les yeux, de réfléchir et de parler.

Il est de fait qu’un État laïque et républicain, surtout dans un pays centralisé, s’il fait profession d’ignorer tout pouvoir spirituel extérieur à lui et indépendant de lui, est obligé d’assumer lui-même un pouvoir spirituel. Il y est obligé parce que la République n’est pas donnée seulement comme un fait, mais comme une idée, tout aussi bien que le royaume de Dieu ou la Jérusalem céleste, et qu’une action spirituelle est impliquée dans le gouvernement et la propagation de cette idée. Il exerce ce pouvoir de trois manières. D’abord, anticlérical, il faut qu’il lutte contre l’Église, sur son terrain, avec des armes comme les siennes. C’est ainsi qu’au moment de la catastrophe du Bazar de la Charité, le P. Ollivier ayant dans un discours prononcé à Notre-Dame rappelé les doctrines de la théologie catholique sur le péché et l’expiation, l’État fit afficher dans toutes les communes de France une réfutation de ces théories, composée par le président Brisson, et lue par lui sur le siège élevé d’où il présidait aux débats de la Chambre des députés. En second lieu l’État distribue l’enseignement secondaire et primaire :