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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/141

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qu’une exacte observation de la longitude préserve du naufrage doit la vie à une théorie conçue, deux mille ans auparavant, par des hommes de génie qui avaient en vue de simples spéculations géométriques. » Dans l’ordre politique et social, on n’a jamais en vue de simples spéculations ; notre être y est engagé de trop près, il faut parier. Mais l’application, la réussite de la vérité politique peuvent être longtemps différées sans rien perdre de leur valeur. « Tout est possible. Ce qui est impossible, c’est que l’art, c’est que la science de la politique se composent sur d’autres bases que celles que nous ont déterminées nos maîtres et que nous essayons d’affermir après eux : de nos petits faits bien notés, de nos lois prudemment et solidement établies, de nos vérités incomplètes, mais en elles-mêmes indestructibles, de là et non d’ailleurs le science politique s’élèvera. Nous sommes — à trois ? — à quatre ? — à cinq ? — à dix ? — nous sommes Hécatée le Milésien. Placés aux commencements de notre science, nous avons néanmoins le droit de répéter la fière et dédaigneuse profession du savoir : — Moi, Hécatée le Milésien, je dis ces choses et j’écris comme elles me paraissent, car, à mon avis, les propos des Hellènes sont nombreux et ridicules. » Si, dans cette page que lui-même, la reproduisant après dix ans, déclare un peu outrée, mais dont l’allure est belle, M. Maurras semble faire vraiment commencer bien tard, presque avec lui-même, la science politique, ne voyons là qu’un accompagnement nécessaire de toute pensée vigoureuse et un trait de ressemblance nouveau entre sa pensée et celle de Comte. La phrase vive et forte d’Hécatée de Milet, c’est l’accent dorien de la lyre d’Amphion, qui accompagne toute fondation de cité.

Au second sens, qui oppose positif à négatif, nul ne mérite cette épithète mieux que M. Maurras. M. Maurras n’était connu que dans les deux mondes un peu restreints du Félibrige parisien et de l’École Romane à l’époque où M. Paul Desjardins écrivait le Devoir Présent. Dans ce petit livre vert qui pour quelques-uns apparut comme au bec de la colombe de l’arche, M. Desjardins séparait les écrivains de son temps en positifs, où M. de Vogué et M. Brunetière culminaient, et en négatifs, qu’il honnissait et dont Renan, Lemaître et Barrès formaient trois damnables têtes. Il a dû reconnaître depuis que ces deux derniers avaient simplement manqué le départ ou, qu’ayant laissé les autres faire le train, ils étaient arrivés bons premiers au poteau. Mais enfin il est bien certain que nul mieux que M. Maurras n’a droit, en le sens de M. Desjardins, au titre de positif. J’ai déjà rappelé à son