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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/177

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confesseur peut répondre, c’est que Dieu, si le pécheur ne se repent pas et si l’amour vrai ne vient au dernier moment le justifier, fera qu’il meure sans son scapulaire. Alors Octave, ayant assuré, attaché fortement sur son corps l’objet, se pend.

« Et maintenant, son corps fluet, comme la tête des cyprès, se balance dans la lumière ; comme les cloches des chapelles, il répond au vent matinal. Et le jeune soleil, ayant enfin bondi au ciel, le revêt de riches clartés. Rien ne serait plus beau que cette chair resplendissante, n’était le feu serein, couleur de la première aurore, qu’est devenue au même instant son âme délivrée. Vêtue de confiance elle s’avance hors du monde, accompagnée de flûtes et de chants nuptiaux. Sur la rive opposée, l’odeur des lys unis à la fleur d’olivier présage la venue de la Vierge Marie, chantant avec ses filles selon les harpes de David : « Béni soit-il celui qui vient, il a lié la terre au ciel. »

Toute l’histoire de la vie religieuse est là, pour montrer à quel point le problème soulevé par la Bonne Mort, sous une forme paradoxale qui rappelle la Thaïs d’Anatole France, s’impose à la conscience du chrétien de façon vivante, profonde, dramatique. Au XVIIe siècle les âmes en ont été obsédées, le jansénisme et le quiétisme en sont nés. L’homme ne peut être sauvé que s’il aime Dieu. Mais l’amour de Dieu ne se commande pas. La plupart des hommes, tous les enfants, peuvent craindre Dieu ; ils ne peuvent provoquer en eux le mouvement de cœur par lequel ils l’aimeraient. Le première parole du Credo du petit Joas devant Athalie est

Que Dieu veut être aimé,
Qu’il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé
.
On sait que le Roi-Sergent, père du grand Frédéric, se promenait dans les rues de Berlin, à la main une canne dont il rossait les oisifs qu’il rencontrait. Un jour une femme, voyant venir le roi et la canne, s’enfuyait. Il courut sur elle : Pourquoi te sauver, gredine ? — Parce que j’ai peur. — Il ne faut pas avoir peur de moi : il faut m’aimer. Fut-elle convaincue ?

C’est précisément parce qu’elle avait de telles difficultés à surmonter, parce qu’elle rencontrait, comme un fleuve puissant, de telles épaisseurs rocheuses sur le terrain qu’elle traversait, que l’Église, traçant sa route sévère et salutaire à l’humanité supérieure, a dû soit les tourner par des courbes savantes, soit ouvrir en elles, comme le Rhin