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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/178

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dans les schistes, une trouée héroïque. Luther, Jansénius, ne lui permettent pas d’oublier ces problèmes tragiques qu’elle tient de saint Paul et de saint Augustin. Au XVIIe siècle elle précise par toute une jurisprudence minutieuse la doctrine de compromis et de mesure établie à Trente. Distinguant la contrition parfaite, soit l’acte par lequel l’homme déteste en ses péchés l’offense qu’il a faite à Dieu, et l’attrition, soit le regret et la haine du péché motivés par la crainte de la damnation, l’Église tend à admettre que l’attrition jointe à la pratique des sacrements suffit à justifier l’homme s’il s’efforce en même temps, sincèrement, même sans résultat, de parvenir à la contrition. C’était la doctrine des jésuites qui furent accusés par les jansénistes d’enseigner que l’amour de Dieu est inutile. C’était, paraît-il la doctrine professée par Richelieu dans son catéchisme de Luçon, et l’on a prétendu qu’une des raisons pour lesquelles il mit à la Bastille Saint-Cyran était que la croyance janséniste impliquait la damnation de qui n’avait pas l’amour vrai de Dieu : or Louis XIII n’avait jamais dépassé l’attrition, et pour le cardinal troubler inutilement la conscience du roi était une façon de troubler l’État. Ainsi la doctrine de l’amour pur de Dieu nécessaire au salut fut considérée par l’Église romaine comme une théorie qui avait besoin de tempérament et d’explication par Richelieu, puis Louis XIV comme une théorie fâcheuse, — et c’est bien de son fonds indépendant et frondeur que Boileau écrit son épître janséniste sur l’Amour de Dieu. À plus forte raison la doctrine quiétiste de l’amour pur, c’est-à-dire de l’amour de Dieu non seulement nécessaire, mais suffisant pour le salut. Ce n’est pas là une digression : il importe de marquer que le primat jaloux de l’amour de Dieu, c’est-à-dire du sentiment que M. Maurras s’est déclaré incapable de comprendre et d’éprouver, a été, dans le grand siècle classique français, surveillé par l’Église au nom de la psychologie humaine, endigué par la monarchie au nom de la raison d’État.

Mais, avec son fanatisme logique de blanc du Midi, M. Maurras a vu un ennemi personnel dans ce sentiment dont, enfant, il avait constaté en lui l’absence, et dont l’ayant cherché vainement, il avait souffert. Par un trait de cette nature qu’il se plaisait à éprouver et à retrouver entre les palais noirs de Florence, il répute ennemie toute réalité étrangère que l’une au moins de ses pentes n’incline pas vers lui. Non seulement l’amour de Dieu lui a semblé mauvais, mais ce mal lui a paru venir du mal contenu dans chacun des deux termes que l’amour de Dieu associe, — l’amour et Dieu. De sorte que, pour