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des gens de la Réforme, ou la conscience morale des Latins, ces huguenots antiques, ou encore le vague Dieu qui multiplie par l’infini les divers placita de M. Jules Simon ».

La caractéristique de l’Église catholique est de maintenir un équilibre vivant entre la religion des peuples orientaux du livre et la tradition qui était seule pour l’antiquité classique à transmettre le dépôt des croyances. « Il n’est guère, écrit un professeur d’histoire religieuse à la Sorbonne, que le catholicisme à placer ainsi sur le même plan, — pari pietatis affecta et reverentia, écrivent les Pères du Concile de Trente — l’Écriture et la Tradition[1]. » Mais si Bossuet défendait la Tradition contre les protestants, c’était évidemment comme tradition de quelque chose. Les Saints Pères n’ont fait que développer et soutenir contre les hérésies une théologie dont le noyau est dans l’Évangile et dans saint Paul. Admirer le cortège et mépriser ce qu’il transporte, vénérer la tradition et détester ce qu’elle transmet, voilà un bien paradoxal formalisme. Ici encore la pensée de M. Maurras nous apparaît un simple comtisme immodéré, et nous reconnaissons en lui un pur écho du philosophe qui, dans une lettre du 9 Aristote 69, écrite à Alfred Sabatier après l’entretien de ce disciple avec le jésuite auquel il avait porté à Rome les étranges propositions d’alliance du Fondateur du Positivisme, s’étonne douloureusement que SabatÍer ait trouvé là « un naïf interlocuteur, assez arriéré probablement pour ne pas même sentir combien Ignace de Loyola surpasse, à tous égards, leur Jésus Christ. »

Voici, je crois, comment on pourrait fixer sur ses racines religieuses cette conception individuelle et paradoxale d’un catholicisme canalisé dans ses définitions sociales. Le Christianisme, quelle que soit sa confession, peut se définir comme la religion qui admet entre Dieu et l’homme un médiateur divin, Jésus-Christ. Aucun monothéisme d’ailleurs n’est rigoureusement pur en ce qu’aucun ne se passe de médiateurs, qui, dans le judaïsme et l’islamisme, sont simplement des hommes, Moïse et Mahomet. Mais l’Église catholique ne s’arrête pas là. Entre Jésus-Christ, médiateur divin, et l’âme individuelle, elle organise tout un système de médiation humaine. Un médiateur humain dans le temps, qui est la tradition, un médiateur humain dans l’espace, qui est l’Église, l’Église triomphante en son chef la Vierge et en ses membres les saints, l’Église militante en son chef le pape, en ses membres les clercs, en son troupeau les laïques. Cette

  1. Guignebert. L’Évolution des Dogmes, p. 100.