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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/184

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double médiation humaine, en 1870 le concile du Vatican l’a précisée, l’a complétée, en lui faisant faire, dans la même direction, deux pas, ou, si l’on veut, en l’achevant par deux « définitions ». Par le dogme de l’Immaculée Conception, il a désigné en la personne de Marie un médiateur sinon divin, du moins plus qu’humain. Par le dogme de l’infaillibilité, il a ramené la diversité des membres à l’unité du chef, il a constitué dans l’Église militante ce même médiateur individuel qu’il érigeait dans l’Église triomphante. À l’opposé du catholicisme est donc le déisme omisso medio, qui nie de Dieu à l’homme cette chaîne et cet ordre social catholiques, et qui les réduit l’un et l’autre à des individus. Si une religion est une société, le catholicisme réalisera précisément, avec le maximum de société, le maximum de religion. Voilà le fonds vrai que M. Maurras, s’inspirant du positivisme, nous aide à conduire dans une forte lumière.

Maximum de religion, maximum de société donnent ceci : maximum d’ordre. « C’est, dit M. Maurras, à la notion la plus générale de l’ordre que cette essence religieuse (le catholicisme) correspond pour ses admirateurs du dehors. » Et ce passage de Barbares et Romains pourrait conclure aussi les Amants de Venise. « Aux plus beaux mouvements de l’âme, l’Église répéta comme un dogme de foi : Vous n’êtes pas des dieux ! À la plus belle âme elle-même : Vous n’êtes pas un Dieu non plus. En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l’idée et à l’observance du tout, les avis de l’Église éloignèrent l’individu de l’autel qu’un fol amour-propre lui proposait tout bas de s’édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d’êtres et d’hommes existaient près de lui, méritaient d’être considérés avec lui[1]. »

Rome est l’ordre, elle est l’être, qui est un autre nom de l’ordre. « Je suis Romain par tout le positif de mon être, par tout ce qu’y joignirent le plaisir, le travail, la pensée, la mémoire, la raison, la science, les arts, la politique et la poésie des hommes vivants réunis avant moi. Par ce trésor dont elle a reçu d’Athènes et transmis à notre Paris le dépôt, Rome signifie sans conteste la civilisation et l’humanité. Je suis Romain, je suis humain, deux propositions identiques. Rome dit oui, l’Homme dit oui… Qu’est-ce que l’Être sans la loi ? À tous les degrés de l’échelle l’Être faiblit quand mollit l’ordre ; il se dissout pour peu que l’ordre ne le retienne plus[2]. »

  1. La Politique Religieuse, p. 386.
  2. Id., p. 396.