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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/195

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coups. Car cela fait partie de notre condition, et les pires maux appliqués aux places convenables deviennent des présents du ciel[1]. » M. Maurras a donné, dans l’Action Française et la Religion Catholique, la glose catholique de ce mythe où il n’y qu’un désir, celui d’atteindre « l’individualisme ». Diogène disait chez Platon, en marchant sur le tapis : Je foule aux pieds l’orgueil de Platon. — Avec un autre orgueil, répondit Platon. Sans doute M. Maurras a prévu qu’on lui reprocherait d’atteindre l’individualisme avec un autre individualisme, puisqu’il paraît prévenir ce reproche dans une page de la Politique Religieuse, supplément fort élégant aux Serviteurs.

« Assurément il est de beaucoup plus facile à des libre-penseurs de supporter les formules dogmatiques du catholicisme qu’à des catholiques de supporter avec la même égalité des formules directement opposées à leur foi. Un indifférent, un positiviste peut fort bien se sentir honni chez les catholiques et ne point s’arrêter dans ces déclarations d’estime, d’affection et même de vénération et d’amitié pour le catholicisme. Il peut donner sans espérer de recevoir, et ne souffrir d’aucun sentiment d’une duperie. Et plus les catholiques se manifesteront rigoureux catholiques, c’est-à-dire précis en matière de dogme, richement nuancés en science morale, réalistes en politique, plus ils auront de droit à l’admiration de cet esprit positif. On ne parviendra point à le blesser en l’excommuniant. Il conviendra qu’il n’est point de la communion, mais que la communion lui paraît belle, forte et utile au bien de l’État. C’est tout ce qu’il accordera, dans l’ordre de la la pensée. Il l’accordera de grand cœur[2]. »

En fait M. Maurras, attaqué par des catholiques, commence par sauter sur son bâton et par exécuter dans l’Action Française et la Religion Catholique trois cent cinquante-quatre pages de magnifiques moulinets ; seulement ces catholiques ne sont pas de rigoureux catholiques selon la définition de M. Maurras qui a reçu au contraire en toute déférence les critiques, parfois vives, du P. Descoqs. C’est au livre de ce dernier que pourraient s’appliquer les lignes citées. — L’athée à qui il plait d’être battu, direz-vous, ressemble fort à la femme de Sganarelle. — Pourquoi pas ? La logique de Martine est une logique, ne vous en déplaise, même une logique réaliste et « archiste ». Sganarelle a beau battre sa femme, il forme avec elle un ménage, un groupe, un

  1. Le Chemin du Paradis, p. 287.
  2. La Politique Religieuse, p. 17.