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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/201

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aux turlutaines gallicanes qui n’ont rien de commun avec le culte du passé de notre nation ». Évidemment il se montre là bon Méridional, les Parlements des pays d’oc étant dans l’ancienne France décriés pour leur ultramontanisme. Mais paraît surtout sacrifier à ses amitiés romaines tout un beau plan de tradition française. M. Maurras a d’éloquentes pages pour montrer que le Oui est romain, le Non barbare ; mais entre le oui et le non n’y a-t-il pas une gamme de formules françaises, même normandes, et surtout la formule critique du XVIIe siècle, celle d’un Pascal, celle qui dit : jusque là et pas plus loin ? La doctrine gallicane, c’est la raison française en tant qu’elle se soumet pour un bénéfice certain. Jansénisme et catholicisme signifient qu’une âme française fut portée au sein du catholicisme et qu’un sel français le défendit chez nous contre des puissances espagnoles et italiennes, comme un sel latin nous défendait contre des puissances germaniques. Entre Rome et ces formes françaises le roi servait de médiateur, intervenant contre celle des deux puissances, romaine ou nationale, qui usurpait : ce fut, de 1614 à la Restauration, toute la politique religieuse de la monarchie.

Et il n’est peut-être pas exact que tout cela ne soit que de l’histoire morte et qu’allusion inutile à une tradition coupée : « La turlutaine gallicane ne tient plus dès qu’on fait observer que, depuis le Concile, le catholicisme ayant complété sa définition, il faut le voir comme il se voit et comme il est, non comme îl plait de le rêver[1]. » Il est très juste que le gallicanisme, aux deux sens anciens du mot, comme ensemble de libertés propres à l’Église de France, et comme doctrine professée par les légistes, a cessé d’exister. Mais le principe formel qu’il représente est incorporé à l’existence de toute nation catholique et se manifeste avec d’autant plus de force que la vie catholique de cette nation est plus intense. Quelles que soient l’obéissance et la fidélité d’un clergé au siège romain, il arrive souvent des moments où l’immixtion de Rome dans une affaire de détail, une habitude locale, une tradition nationale, parait abusive à une partie, grande ou petite, de ce clergé. De là une résistance qui demeure respectueuse de la discipline, mais qui la respecte avec des réserves, des détours, et, dans certains cas graves, une opposition plus nette. — Esprit d’orgueil, esprit de Satan. — Attendez : ce diable apporte sa pierre à l’Église. Un axiome politique certain veut qu’on ne s’appuie que sur ce qui résiste. L’Église de France, parce

  1. La Politique Religieuse, p. xxv.