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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/202

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qu’elle était forte, a pu autrefois se défendre en même temps contre la Réforme et contre les prétentions ultramontaines. Dans les pays où l’Église est forte, quand il le faut, contre le pouvoir civil, elle se montre ferme, quand il en est besoin, contre Rome. Lors de l’encyclique Pascendi et de la décision romaine qui prétendait imposer à tous les clercs le serment anti-moderniste, les catholiques allemands s’insurgèrent. Le cardinal Kopp déclara que l’Encyclique « ne peut s’appliquer à des Allemands, qu’elle n’est pas faite pour les catholiques d’Allemagne », du ton dont un capitaine prussien ferait connaître au feldwebel d’ordinaire que les pommes de terre gelées sont pour les hommes et non pour les officiers. L’opinion catholique allemande résista au nom de la science allemande, de la liberté allemande, de la probité allemande, de tout ce qui est au-delà du Rhin réputé allemand, contre l’étranger, le monsignor, les cardinaux Billot, Merry del Val, Vivès y Tuto. Et ce fut Rome qui céda. Le Non possumus des catholiques allemands au pape avait sa source dans les mêmes énergies que le Non possumus des catholiques allemands à Bismarck. La docilité du clergé et des catholiques français à l’égard de Rome peut être prisée comme une vertu, mais cette docilité leur vient du même fonds que leur faiblesse devant l’État.

Cette docilité générale à l’égard de Rome ne s’est pourtant pas étendue, dans le clergé français, jusqu’à adopter avec enthousiasme les directives romaines de M. Maurras. Sont-ce les vieux ferments gallicans, est-ce le nouveau levain moderniste, ou est-ce seulement cette crainte des représailles que devant une solidarité possible de l’Église avec les partis monarchistes exposait éloquemment par sa lettre de 1880 au pape le cardinal Lavigerie, est-ce enfin l’esprit de fidélité aux directions prudentes de Léon XIII et du cardinal Rampolla ? toujours est-il qu’une bonne partie du clergé n’a pas vu sans inquiétude ni mauvaise humeur le rôle d’adjudant faiseur de zèle que s’attribuait l’Action Française dans les relations entre l’état-major romain et le popolo minuto du monde religieux, les dithyrambes de M. Maurras en l’honneur de la « juste et sainte alliance du froc et de l’épée, du corps des officiers et des Congrégations religieuse »[1]. Écrivant contre l’un de prêtres qui l’attaquaient sans ménagement, il s’écrie avec un étonnement qui m’étonne : « Malveillance profonde, sans mesure, sans frein, et dont j’ignore absolument la source ! Que lui avons-nous

  1. Id., p. 260.