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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/203

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fait ? Pour ma part je ne pense pas avoir causé jamais de préjudice à M. Pierre, que j’ignorais profondément. » M. Maurras se gausse ailleurs de Gabriel Monod qui devant ses attaques violentes s’écriait, lui aussi : « Qu’est-ce que je lui ai donc fait ? Je ne le connaissais pas. » Et il énumère abondamment les torts de Monod envers la France, au nom de laquelle il se porte contre lui partie plus ou moins civile. Que M. Maurras se rappelle son triomphe sur le Sillon, ou, plus simplement, qu’il relise le Curé de Tours. Qu’avait fait l’abbé Birotteau à l’abbé Trubert ? Rien et tout. M. Maurras devait prévoir rigoureusement à quelles haines sacerdotales l’exposerait sa politique religieuse et quels germes de guerre ecclésiastique implique la phrase où toute cette politique est résumée : « L’Action Française… rallie les catholiques… à proportion qu’ils se montrent plus fidèles à l’unité du dogme romain. » Conception précieuse pour donner à M. Maurras « l’ordre intellectuel et moral », beaucoup moins pour apporter à la France et à son Église la « paix publique ».

De sorte que les adversaires catholiques de M. Maurras sont fondés quelque peu à circonscrire son Génie du Catholicisme sur le même terrain, dans le même camp de concentration où lui-même relègue Châteaubriand et le Génie du Christianisme : le grand cimetière décoratif de la littérature des génies. Dans une note de la Politique Religieuse[1], M. Maurras cite un article du Temps où M. Paul Souday (Rome alors honorait ses vertus) exposant qu’un Huysmans a plus de saveur qu’un Fogazzaro conclut : « Pour tout dire, à l’opportunisme ambigu et fade des modernistes, il est loisible de préférer, par simple goût des belles choses réalisant la plénitude de leur type, soit la netteté de la pure libre-pensée, soit la splendeur traditionnelle du catholicisme intégral ». M. Maurras épingle en triomphant cette citation, et y voit la preuve que « les sympathies de la libre-pensée ont finalement abandonné le protestantisme ainsi que le libéralisme, son succédané. » Le Temps et M. Souday s’embrigadent-ils donc dans la « juste et sainte alliance du froc et de l’épée ? » que M. Maurras s’écrie : « Une aube se fait peu à peu ? » Attendez. Supposez que M. Souday ait écrit ceci : « Pour tout dire, à l’opportunisme ambigu et fade de l’Alliance démocratique, il est loisible de préférer, par simple goût des belles choses réalisant la plénitude de leur type, soit le net syndicalisme révolutionnaire de la C. G. T.

  1. La Politique Religieuse, p. XL.