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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/229

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Considérez tous les éléments actifs et positifs dont est faite une société, et voyez que la démocratie qui, du rang encore redoutable de Caliban, est descendue, pour M. Maurras, à celui d’« animalcule immonde » a pour fonction de les détruire. « Tradition, discipline, hiérarchie, famille, association spontanée, autorité, responsabilité et hérédité du pouvoir, — voilà ce qui crée et conserve les États, qu’ils soient anciens, qu’ils soient modernes, » Or la démocratie a coupé la tradition, énervé la hiérarchie, défait la discipline, émietté la famille, empêché l’association spontanée, puisé l’autorité à sa source la plus basse, fait de l’irresponsabilité le privilège du pouvoir et interdit à ce pouvoir, révocable après quatre ou sept ans ou selon le bon plaisir d’une foule parlementaire, d’hériter de ses propres expériences. Détruire une à une les forces dont l’acte est de construire, tel est donc l’acte de la démocratie.

Quand M. Barrès s’est étonné que cette haine de la démocratie n’ait reçu dans un voyage à Athènes aucun tempérament, sans doute songeait-il que le travail qui aux yeux de M. Maurras représente dans l’ordre du beau la production la plus parfaite de l’homme, l’Acropole, fut construit par une démocratie. — Non. Elle fut l’œuvre de Periclès, de Phidias, d’Ictinus et de Mnesiclès, et les deux premiers au moins n’eurent guère à se louer de la démocratie athénienne. Les œuvres de l’art sont filles du génie individuel, et n’ont pas grand chose à voir avec les œuvres de la politique. — M. Maurras publiera peut-être, quand des loisirs lui viendront, son Essai sur l’échec de l’aristocratie athénienne annoncé depuis longtemps et que nous aimerions bien lire. En attendant il allègue pour sauver son goût athénien et sa haine de la démocratie deux arguments dont il essaie de pallier la contradiction : d’abord que le grand nombre des esclaves faisait des république grecques, même quand leur constitution était démocratique, de véritables aristocraties ; ensuite que pendant la période démocratique Athènes a simplement usé et détruit ce qu’avait accumulé de ressources politiques l’aristocratie au second degré qui gouvernait son aristocratie d’hommes libres.

Je ne veux pas engager à ce propos un débat historique. Il sera temps de l’entamer quand aura paru le livre annoncé de M. Maurras. (Sa seconde Quiquengrogne peut-être…) Mais j’ai déjà noté, en me référant à Isocrate, tout ce qu’on rencontre d’affinités grecques dans la politique de M. Maurras. Une phrase, une page de lui nous ramène souvent à la République ou aux Lois. Cette idée de la démocratie qui à