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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/295

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mand souverain n’est pas le souverain allemand : n’empêche que les Hohenzollern se sont élevés parce que chaque prince s’y considérait comme « le premier ministre du roi de Prusse ». Et ils ont comme nos rois à nous travaillé non pour l’Europe et le monde, mais pour leur patrimoine et leur État.

M. Maurras estime dans l’Allemagne des qualités extérieures qui sont des moyens et qui eussent mérité par leur mécanisme parfait d’être employées à des fins françaises. Les sorties contre le « militarisme allemand » ne lui plaisent pas. « Il s’agit de nous faire mépriser dans l’Allemagne ce qui en fait la force, il s’agit de faire croire aux Français que ces merveille de préparation et d’organisation militaire représentent quelque chose d’inférieur et même de corrupteur[1]. » Ce qui est inférieur et corrupteur ce sont les fins au service desquelles elles ont été mises, c’est l’esprit des quatre anabaptistes, de Luther à Fichte. M. Maurras sépare de l’âme allemande le matériel de l’Allemagne. Autant il déteste l’une, autant il envie l’autre. Il dénonce particulièrement le danger de l’attitude contraire, celle qui consiste à comprendre le genre allemand, à sympathiser avec lui, à goûter ses formes d’intelligence et de beauté, mais à dénigrer et à mépriser la carapace extérieure, la force défensive et agressive, le militaire de l’Allemagne. C’est le moyen qui nous mène fatalement à déclasser et à désapprendre la nécessité et l’usage de la force, à nous éteindre misérablement devant des idéaux artificiels.

Ainsi l’existence d’une Anti-France rend au nationalisme français de M. Maurras certains services. L’Allemagne lui a montré comment un peuple conquis par l’étranger peut se relever si la tête est sauve, s’il a gardé un pouvoir spirituel capable de lui désigner ses valeurs nationales. Elle lui a montré le besoin de force matérielle, première condition pour qu’un idéal soit réalisé, pour qu’un droit sorte du néant. Tous ces traits accompagnés, comme dirait Spinoza, de tristesse, il les a transportés dans le monde lumineux où ils sont accompagnés de joie. Il a conçu la pensée d’une œuvre de réforme intellectuelle et de Discours à la nation française sur ses intérêts et ses destinées. Il a compris, de 1895 à 1918, la leçon que donnait à ses rivaux l’Allemagne impériale et militaire : Soyez forts, ou subissez-moi. « Au temps de l’Union d’autrefois où nous allions et nous avancions dans le monde, nos fronts étaient laurés et nos bras chargés

  1. Le Parlement se réunit, p. 45.