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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/312

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tude, en cas de guerre contre l’Angleterre, de voir leurs communications avec la métropole coupées. L’Angleterre, en cas de guerre contre ses voisins, court, on l’a vu depuis, d’autres dangers. Un État comme un particulier compte pour bâtir sur une certaine faveur des circonstances, sur une certaine stabilité, sur la possibilité pour ses intérêts de se concilier avec ceux de ses voisins. Puisqu’en cas de guerre contre l’Angleterre nous aurions perdu notre empire colonial, le mieux était de lier dans la mesure du possible les intérêts de cet empire avec les intérêts britanniques, ou tout au moins de ne pas heurter violemment ces intérêts. C’est à quoi la République se décida après avoir risqué deux fois, au moment du conflit avec le Siam et au temps de Fachoda, la guerre contre l’Angleterre. Il y a là, comme en toute ligne politique, des hésitations et des flottements qui aboutissent à de l’expérience et à un dessein stable.

Mais voilà où nous attend M. Maurras. Si notre empire colonial a besoin, pour vivre, de la tolérance de l’Angleterre (et il oublie que tous les autres empires coloniaux sont dans ce cas) c’est une preuve de plus que nous sommes gouvernés et manœuvrés par l’étranger. « Le pouvoir du roi d’Angleterre sur les affaires de la France s’est prodigieusement étendu au XIXe siècle et dans les premières années du XXe ; il grandira encore, à moins d’un changement de régime chez nous. Même indépendamment de son personnel et de sa politique, notre régime est déjà, quant à son essence, du choix de l’Angleterre. Elle nous a donné la démocratie et la République. C’est à la suite de la guerre d’Amérique, des victoires et des armements de Louis XVI, qui avaient fait perdre le commandement de la mer à l’Angleterre, que celle-ci fomenta la Révolution. C’est à la suite de l’expédition d’Alger qu’elle provoqua les journées de 1830. C’est après sa rupture avec Louis-Philippe qu’elle détermina les journées de février et l’établissement de la seconde république. Enfin la troisième République naquit de la série des intrigues et des conflits européens que l’Angleterre avait subventionnés partout, notamment en Italie, depuis cinquante ans. » Quant à nos expéditions coloniales, elles « donnaient à l’Angleterre une large prise sur nous, prise qui devenait de plus en plus importante et sérieuse que se multipliaient nos succès au-delà des mers[1] ». Le génie monarchique de M. Maurras est ami des explications simples. De même que tout ce qui se fait de bien dans l’État

  1. Id., p. 124.