Aller au contenu

Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émane d’un principe bienfaisant, le roi, tout ce qui nous est advenu de mal doit émaner d’un mauvais principe, qui est ici l’action de l’Angleterre. Je ne suis pas de ceux qui évoqueront jamais, au sujet du salutaire gouvernement de Louis XVIII, les « fourgons de l’étranger », mais l’auteur de l’Étang de Marthe n’abuse-t-il pas ici du vaisseau de l’étranger ? En pareil cas un homme admiré de M. Maurras, Fustel de Coulanges, avait coutume de demander, et la chanson elle-même le dit : « Avez-vous des textes précis ? » Où sont les textes de M. Maurras ? Ou quel Sherlock Holmes a retrouvé pour lui dans l’histoire du XIXe siècle les traces innombrables de l’or anglais ?

M. Maurras ne nourrissait d’ailleurs nulle haine de principe contre l’Angleterre, mais bien contre le principe républicain. L’essentiel pour lui était de montrer que la République se définit comme le gouvernement de l’étranger, — et de tout l’étranger. Le quai d’Orsay n’abandonne dans Kiel et Tanger la paire de bottines anglaises qu’il nettoie que pour se jeter sur des brodequins allemands à faire reluire et sur des bottes russes à graisser. « La République affranchie de nos Capétiens est en fait la sujette docile du Hohenzollern. Sous la main de l’empereur-roi, notre République ressemble à ces ludions qui montent ou descendent dans le bocal selon les coups de pouce imprimés par le caprice du physicien sur la membrane supérieure[1]. » Les voyageurs pour Berlin mis en voiture, M. Maurras aiguille un train vers Pétersbourg : « Telle quelle, la Russie peut avoir une politique. Telle quelle, en proie au gouvernement des partis, déséquilibrée, anarchique, la démocratie française ne le peut pas. Elle en était donc condamnée à remplir l’office indigne de satellite du tzar ! La pure ineptie de son statut politique plaçait la fille aînée de la civilisation sous la protection d’un empire à demi inculte[2]. » La devise de la fille aînée de la civilisation est devenue celle de Kundry : Servir. Évidemment il ne tenait qu’à nous de laisser se renouer l’alliance bismarckienne des trois empereurs, l’Angleterre et l’Allemagne s’entendre au sujet du Maroc comme elles s’étaient entendues, en un temps d’amitié, au sujet de Zanzibar et d’Héligoland. La République nous a procuré des alliances qui nous ont conduit a la guerre de 1914 avec pas mal de monarchies, — et toute alliance implique un marché, des concessions mutuelles, où l’opposition professionnelle de chaque pays à pour fonction de

  1. Id., p. XLII.
  2. Id., p. 17.