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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/39

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général et à la notion ontologique de l’Idée. Ajoutons-y enfin l’instinct plastique, les souvenirs de l’épopée et du théâtre. Depuis les rois homériques jusqu’au Darius d’Eschyle, à l’Œdipe de Sophocle, au Thésée d’Euripide, la poésie dramatique athénienne a réalisé des types de rois aussi beaux que ceux de Corneille et de Racine.

Enfin, peut-être fallait-il, pour que cette notion politique idéale pût éclore, qu’elle se détachât non sur une réalité à laquelle elle se fût trouvée mêlée, mais sur une absence, sur un vide, pareil au fond bleu des métopes du Parthenon, d’où elle fût repoussée presque violemment et saillît dans sa pureté logique. M. Maurras, en la « Méditation » qui termine le beau morceau d’Anthinea : la Naissance de la Raison, indique lui-même une origine analogue au culte athénien de Pallas : « Qu’un tel peuple, le plus sensible, le plus léger, le plus inquiet, le plus vivant, le plus misérable de tous les peuples, ait été précisément celui qui vit naître Pallas et opéra l’antique découverte de la Raison, cela est naturel, mais n’en est pas moins admirable. On comprend comme, à force d’éprouver toute vie et toute passion, les Athéniens ont dû en chercher la mesure autre part que dans la vie et dans la passion. Le sentiment agitait toute leur conduite, et c’est la raison qu’ils mirent sur leur autel[1]. » Mais qu’était-ce que cette vie et cette passion, dans leur forme la plus pure et la plus capricieuse, sinon l’état de l’« homme démocratique » que décrit la République ? Et de cet « homme démocratique » n’était-il pas naturel que jaillît, sur un plan analogue à celui qu’idéalisent au centre d’Athènes ces lignes de M. Maurras, une raison royale ? Athènes, fondée par le « synœkisme » de son roi, Thésée, qui en rassemblant des bourgades réalise en miniature sur le sol attique l’œuvre française des Capétiens rassembleurs de terre, retrouve, à son déclin, dans l’ordre de l’intelligence devenu malgré elle de plus en plus sa raison d’être, avec les philosophes socratiques tels que Platon, les rhéteurs socratiques tels que Xénophon et qu’Isocrate, la monarchie comme une essence, comme un discours, comme une réalité spirituelle aussi claire et aussi générale que le Thésée qui au fronton du Parthenon s’éveille devant le soleil levant.

Et peut-être en est-il de même de toute idée royale, de tout tempérament royal : « Le caractère des Français, disait la Bruyère, veut du sérieux dans le souverain. » Le Français cherche dans le souverain

  1. Anthinea, p. 84.