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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/133

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LE MONDE QUI DURE

à chercher, à découvrir, à approfondir la réalité intérieure. En principe elle paraît aussi consister en bien d’autres choses, par exemple en une collaboration avec la science ; mais en réalité l’expérience nous montre que, jusqu’ici du moins, on n’a pris place parmi les grands philosophes qu’à proportion du champ de réalité intérieure qu’on a défriché, et à proportion aussi de la mesure où on a tourné cette réalité intérieure, après comme avant la Dialectique Transcendentale, vers la réalité absolue. Ab exterioribus ad interiora, per interiora ad divina pourrait servir de devise commune aux formes supérieures de la philosophie comme de la religion. La seconde partie de cette formule épouserait un courant de la philosophie bergsonienne.

On imagine un livre bergsonien sur la religion composé ou plutôt déposé d’une manière analogue à l’Évolution Créatrice. M. Bergson a dit souvent que son ouvrage sur la vie n’avait été qu’une manière d’utiliser en philosophe l’expérience des savants. Il a dépouillé pendant plusieurs années toute la littérature biologique, et le livre s’est presque trouvé fait. Certes il fallait autre chose. Les rédacteurs de l’Année biologique n’ont jamais fait sortir, de leurs dépouillements consciencieux, une Évolution Créatrice. La vérité est qu’à l’expérience scientifique des biologistes, expérience à laquelle il était étranger et qu’il demandait à ceux qui la pratiquaient, M. Bergson a joint l’expérience intérieure qui est le propre de la philosophie, et sans laquelle il n’y a pas plus de philosophie qu’il n’y a de biologie sans expérience extérieure. Ainsi peut-être ferait un bergsonien pour étudier le problème religieux.

Un bergsonien qui ne serait pas plus un mystique que M. Bergson n’est un biologiste. Il ferait donc ce qu’a fait M. Henri Brémond, qui n’est pas non plus un mystique : il dépouillerait la littérature mystique, ainsi que M. Bergson a dépouillé la littérature biologique. Et il interpréterait cette littérature du sentiment religieux sur un plan philosophique et en langage philosophique. Seulement ce ne serait pas ici, comme dans le cas de l’Évolution Créatrice, une expérience extérieure à éclairer d’une expérience intérieure ; ce serait un plan d’expérience intérieure à transporter sur un autre plan d’expérience intérieure. Opération plus facile, plus difficile, je ne sais, mais différente. Notons cependant ceci : si les philosophes, M. Bergson comme les autres, ne sont pas en général des mystiques, il y a certaines exceptions. Il y en a eu au moyen-âge, mais, parmi les philosophes originaux, il y a eu surtout l’exception de Plotin. Ce grand