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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/158

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LE BERGSONISME

dans son principe, pour une rectification de la doctrine hégélienne du devenir et de l’évolutionnisme spencérien. D’une part les Hindous d’aujourd’hui reconnaissent dans le bergsonisme certaine communauté avec leurs anciennes philosophies ; d’autre part les Anglo-Saxons ont vu dans les idées bergsoniennes une source d’énergie. Il est extrêmement probable que si M. Bergson prolongeait lui-même sa philosophie par une morale, c’est bien dans ce dernier sens qu’il s’efforcerait de la conduire. Ses véritables affinités le porteraient, sinon vers un pragmatisme analogue à celui de James, du moins vers une philosophie aiguë de la liberté et de l’effort.

M. Bergson s’est d’ailleurs sommairement expliqué à ce sujet, dans une conférence sur la Conscience et la Vie, faite en 1911 à l’Université de Birmingham. « Chez l’homme seulement, chez les meilleurs d’entre nous surtout, le mouvement vital se poursuit sans obstacle, lançant à travers cette œuvre d’art qu’est le corps humain, et qu’il a créée au passage, le courant indéfiniment créateur de la vie morale. L’homme, appelé sans cesse à s’appuyer sur la totalité de son passé pour peser d’autant plus puissamment sur l’avenir, est la grande réussite de la vie. Mais créateur par excellence est celui dont l’action, intense elle-même, est capable d’intensifier aussi l’action des autres hommes, et d’allumer, généreuse, des foyers de générosité. Les grands hommes de bien, et plus particulièrement ceux dont l’héroïsme inventif et simple a frayé à la vertu des voies nouvelles, sont révélateurs de vérités métaphysiques. Ils ont beau être au point culminant de l’évolution, ils sont le plus près des origines et rendent sensible à nos yeux l’impulsion qui vient du fond. Considérons-les attentivement, tâchons d’éprouver sympathiquement ce qu’ils éprouvent, si nous voulons pénétrer par un acte d’intuition jusqu’au principe même de la vie. Pour percer le mystère des profondeurs, il faut parfois viser les cimes. Le feu qui est au centre de la terre n’apparaît qu’au sommet des volcans[1]. »

On ne trouvera là rien que de naturel à une philosophie de l’action. Au lieu que pour l’intellectualisme le bien moral est une révélation de la métaphysique, pour M. Bergson comme pour Kant il serait lui-même révélateur de la vérité métaphysique la plus profonde. Une morale humaine ira dans le sens de l’élan vital, si l’homme est la grande réussite de la vie. Mais l’homme est-il cela ? Tout ce que

  1. L’Énergie Spirituelle, p. 26.