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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/16

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Pendant tout un mois, Charlot s’employa à écraser les cochons en baudruche et à renverser les réverbères de caoutchouc de l’Auto-École, Mais, comme il ne pouvait prendre au sérieux ces obstacles factices, il ne cherchait pas à les éviter. De ce fait, il ne faisait aucun progrès et il n’était pas près de devenir le chauffeur sachant chauffer exigé par son futur patron. Aussi demanda-t-il à passer au plus vite son permis de conduire. Au jour fixé, il vit venir l’ingénieur chargé de l’examiner, C’était un petit bonhomme sévère qui n’avait pas l’air commode. Assis à la gauche de Charlot dans la torpédo sacrifiée qui servait à cette expérience, il sursautait à chaque maladresse du candidat chauffeur. « Trop nerveux, mon garçon ! Trop nerveux ! » bougonnait-il, quand Charlot faisait faire à son auto des bons désordonnés. Mais, ce qui mit le comble à sa rage, ce fut lorsque la voiture, dirigée en dépit du bon sens, monta à l’assaut d’un monticule de sable, à l’entrée d’une rue barrée pour des travaux.

« Ce n’est pas un tank ! hurlait l’ingénieur. Ce n’est pas, un tank ! — Il m’assomme, à la fin, avec ses observations continuelles ! se dit Charlot. Je vais le dresser moi, ce petit bonhomme rageur ! D’abord, j’en ai assez de la ville : il y a trop d’obstacles ! Pour l’auto, rien de tel que la campagne ! Vive la longue route unie et plate comme un ruban ! Vivent les vastes étendues ! Vivent les steppes, les pampas ! » En même temps, Charlot appuyait sournoisement sur l’accélérateur. Et l’auto, qui était sortie de Paris, roulait à une vitesse folle dans la banlieue d’abord, puis dans la brousse, faisant une hécatombe de volailles obstinées à traverser et retraverser la route, comme s’il y avait des passages cloutés, voire un agent muni de son bâton. Naturellement, l’examinateur avait bien essayé de refréner cette ardeur : mais Charlot lui répondit d’un ton sans réplique, qu’il était chargé de la conduite de la voiture et qu’il ne laisserait personne usurper ses fonctions.

Un craquement sinistre et l’auto s’arrêta net, après avoir fendu en deux le tronc d’un châtaignier. « Y a pas de bobo, on le recollera ! blagua Charlot. — Ouais ! ricana l’examinateur. Plaisantez si ça vous chante. Mais ne comptez pas sur moi pour vous signer votre permis ! Au fait où sommes-nous ? » Un écriteau, le renseigna. « Malédiction s’écria-t-il. Paris à 180 kilomètres, la gare la plus proche à 23… et la nuit qui vient ! Qu’allons-nous devenir ? — Vous, je ne sais pas, dit Charlot. Quant à moi, je m’aperçois que le moteur tourne bien, je vais faire demi-tour et rentrer à Paris. — Quoi ? Vous me laisseriez là ? fit l’ingénieur. — Naturellement. À moins que vous me signiez sur-le-champ ce fameux permis. Sinon, je ne vous laisse pas monter dans l’auto ! » Partagé entre son devoir professionnel et la perspective de coucher à la belle étoile, l’examinateur signa la pièce qui devait faire, d’un apprenti-conducteur, le chauffeur sachant chauffer demandé par son futur patron. Mais, tout de même, pour être sûr de rentrer entier dans ses foyers, il demanda à Charlot la permission de prendre le volant.