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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/41

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Les biscuits Tromplafaim avaient un pouvoir soporifique si puissant que Charlot et Nestor, sur leur radeau, ne se seraient probablement jamais réveillés sans une circonstance catastrophique qui se produisit le surlendemain. Cette catastrophe eut pour les deux naufragés les plus heureux effets. Elle était due au mauvais état de la mer. Le vent qui soufflait depuis deux jours s’enfla encore, jusqu’à provoquer une véritable tempête. Le Radeau de la Méduse no 2, poussé avec une violence inouïe sur la côte d’une grande île, vint s’y briser. Les cordes qui assemblaient les rondins de poussevite étant pourries par l’eau de mer, chaque rondin s’en alla où il lui plut, selon sa fantaisie. Un heureux hasard voulut que l’un d’eux vint frapper à la tête un pélican de forte taille. Le gros oiseau mourut presque aussitôt, c’est-à-dire après avoir pris seulement le temps de maudire ses assassins, « Nestor, mon ami, je crois que cette fois nous voilà arrivés au pays de Cocagne ! » s’écria Charlot en prenant contact un peu brutalement avec le sol.

En un tournemain, le pélican fut plumé et vidé. Ce fut Charlot qui se chargea de ces soins domestiques. Un travail autrement compliqué incombait à Nestor : celui de faire du feu, sans allumettes et sans briquet. Il y parvint non sans mal, en frottant avec patience deux silex l’un contre l’autre. Trois heures s’étaient à peine écoulées depuis qu’ils étaient arrivés dans l’île que déjà les deux amis étaient installés devant un repas plantureux et relativement succulent. À peine venaient-ils de le terminer, peut-être avaient-ils la dernière bouchée dans la bouche, qu’un visiteur indésirable fit son apparition. « C’est un serpent ! dit Nestor. Et du mornent qu’il sort des flots, c’est un serpent de mer ! fit Charlot. Un jeune serpent de mer, à en juger par sa faible taille, sa vivacité, son allure sportive et son petit air de nous regarder comme si nous lui avions vendu des pois qui n’ont pas voulu cuire… un petit air de se moquer du monde que je n’aime pas beaucoup, mon garçon !

Que je n’aime pas du tout, ah ! mais. » Ceci s’adressait au reptile qui continuait d’avancer dans la direction des deux hommes. « Cette fois, cela devient sérieux ! Il s’agit de se défendre. C’est sa peau ou la nôtre ! » proclama Charlot. Ce fut celle du serpent, comme vous l’allez voir. Charlot ébranla une roche qui se dressait sur le rivage et la fit basculer. La roche se mit à rouler, passant, à la façon d’un rouleau compresseur, sur le serpent qu’elle écrasa. L’animal fut si parfaitement aplati qu’il aurait pu servir de descente de lit. « Il y a mieux à en tirer, conseilla Nestor, Car je suppose que, comme moi, tu n’as pas l’intention de finir tes jours dans cette île, si giboyeuse soit-elle ? — Certainement non ! Bien. Par conséquent, tous nos efforts doivent tendre à nous faire voir d’un navire passant éventuellement au large. Laisse-moi faire ! » Nestor accrocha la peau du serpent de mer à un tronc de palmier. Ce pavillon intrigua un capitaine de bateau à vapeur. Ainsi furent rapatriés Charlot et Nestor.