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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/44

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Les robots étant des automates, c’est-à-dire des simples machines seulement un peu plus perfectionnées que les autres, n’ont pas besoin de confort. Charlot devenu domestique-robot passa donc la nuit dans un cabinet de débarras, entre l’aspirateur de poussière, la cireuse électrique et un vieux fourneau à gaz dont on ne se servait plus. Au matin, ; Mme Gâtesauce, sa patronne, vint le trouver et lui commanda : « Allons, viens déjeuner ! » Charlot se retint à temps pour ne pas s’écrier : « Ce n’est vraiment pas de refus ! » Mais les robots ne parent pas. Du reste, il n’eut pas lieu de remercier la dame du petit déjeuner qu’elle lui offrait, car il s’agissait simplement d’une alimentation électrique obtenue en lui branchant l’estomac sur une prise de courant. Après quoi, ayant encore un peu plus faim qu’avant, il dut servir à sa patronne un repas suffisant pour dix personnes, repas auquel il se trouva, de par son service, contraint d’assister.

Quand la dame fut rassasiée, elle mit son chapeau et, plaçant dans la main de Charlot un sac à provisions, elle lui commanda de la suivre. « Nous allons faire le marché », lui expliqua-t-elle, Charlot suivit docilement, car il avait son plan. Chemin faisant, Mme Gâtesauce dut s’arrêter plus de vingt fois pour présenter son nouveau robot à des commères de sa connaissance. « Oh ! qu’il est mignon ! » disaient les unes. « On dirait qu’il est vrai ! » disaient d’autres, Et toutes de conclure : « Il ne lui manque que la parole ! » ce qui était vrai, en apparence, du moins. À toutes, Mme Gâtesauce conseillait : « Surtout, n’y touchez pas ! » Chez le charcutier, la dame fit l’acquisition de 2 m. 75 de cervelas qu’elle mit dans le sac à provisions. Ah ! ces 2 m. 75 de cervelas, comme ils faisaient loucher Charlot ; à jeun depuis la veille ! Ils lui faisaient venir l’eau à la bouche ! Ils exaspéraient encore sa faim ! Dire qu’il les avait là à portée de sa main et qu’il ne pouvait pas y toucher, mordre dedans, satisfaire sa faim, en un mot ? Parce qu’il perdrait sa situation de robot ?

La belle affaire vraiment ! Il se rendait compte que, de toute façon, il ne pourrait continuer à jouer plus longtemps ce rôle ridicule. Pour faire un bon robot, il faut n’avoir ni estomac, ni entrailles ! Or, Charlot avait tout cela qui le rappelait à l’ordre, Alors ? Alors, il profita de ce qu’il se trouvait dans une rue déserte, seul avec Mme Gâtesauce pour coiffer celle-ci du filet à provisions, dans l’intention de l’aveugler, juste le temps qui lui était nécessaire pour prendre ses jambes à son con et disparaitre. Ce qu’il fit aussitôt, en soutenant ses forces par l’absorption des cervelas. Il en avait déjà mangé 1 m. 92 quand il s’arrêta net devant un monsieur très bien mis qui s’apprêtait à entrer dans un grand restaurant. Ce monsieur, c’était Nestor, habillé de neuf, grâce aux mille francs de Mme Gâtesauce. « Très content de te voir ! dit Nestor, faisant contre fortune bon cœur. — Content ou pas, offre-moi à déjeuner ! Au dessert, nous réglerons nos comptes ! » riposta Charlot.