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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/46

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Il y avait à peine cinq minutes que Charlot était installé dans son nouveau métier de majordome qu’il le regrettait déjà amèrement, Il gémissait : « Commander à des êtres humains, c’est relativement facile. Il suffit de beaucoup d’autorité et d’un peu de doigté. Mais, qu’attendre de bon de serviteurs mécaniques, découpés dans de l’acier chromé, et qui ont, dans la tête, un moteur en guise de cerveau ? Et, quand ce moteur se détraque, ce qui me semble être le cas, comment arriver à leur faire entendre raison ? » En monologuant ainsi n’allez pas croire que Charlot faisait du surplace. Les robots ne lui en laissaient pas le loisir. Comme s’ils avaient compris que ce personnage allait avoir un droit de regard sur leurs faits et gestes, ils s’employaient à le mettre à mal. Charlot dut pénétrer dans un cabinet noir et s’y enfermer. Puis, pour se remettre un peu de tant d’émotions, il alluma une cigarette. Grave imprudence que ce simple geste.

Car, dans ce réduit, il y avait une servante-robot, occupée à s’enivrer avec le contenu d’un bidon d’essence. L’inévitable se produisit. Une violente explosion ébranla jusqu’aux assises de la maison. Charlot fut projeté dans les airs, cependant que la servante-robot, complètement démantibulées, terminait là sa carrière de domestique mécanique. Par solidarité sans doute, les quatre autres robots se détraquèrent à leur tour. Il est vrai que leur patron les y aida puissamment. Cette révolution domestique l’avait mis hors de lui. Il tomba à bras raccourcis sur le portier Sésame, la cuisinière Pulchérie, Larose le jardinier et le petit groom négrillon qui aurait répondu au nom de Bamboula s’il avait été doué de la parole. Bientôt, toutes ces personnalités si intéressantes et qui faisaient si grand honneur au génie humain qui les avait créées ne furent plus qu’un amas de pièces détachées, tout juste bonnes à être vendues à vil prix chez un brocanteur de la foire à la ferraille.

« Retournez au néant d’où vous sortez… et d’où vous n’auriez jamais dû sortir ! » rugissait le vieux monsieur, hors de lui. S’adressant à Charlot, il lui dit : « Votre contrat est rompu. N’ayant plus de personnel domestique, je n’ai que faire d’un majordome. Voici un mois de gages. Avouez que vous n’y perdez pas. Un mois d’appointements pour une demi-heure de travail, ce n’est pas trop mal payé ? — En effet, approuva Charlot. Pourtant, il faut convenir que ce n’est pas un travail ordinaire ? — J’en conviens ! Ah ! au fait… en vous en allant, rendez-moi donc le service de me débarrasser de tont ce matériel inutilisable. Vous en ferez ce que vous voudrez, je vous l’abandonne ! » Charlot mit tout ce qui restait des robots dans une grande caisse et prit congé. Malgré ses talents commerciaux, il ne put parvenir à vendre ses domestiques en pièces détachées. Aucun brocanteur ne voulut de cette ferraille. En désespoir de cause, Charlot se rendit à la mairie et les fit inscrire au chômage, en même temps que lui.