Aller au contenu

Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une situation de chômeur qui s’éternisait laissait à Charlot de nombreux loisirs, qu’il utilisait en promenades. Le plus souvent, c’était dans la campagne qu’il passait son temps. Certain jour, il y fut témoin invisible d’une action qui témoignait, de la part de son auteur, de plus d’imagination que d’honnêteté. Une paysanne devant sa porte se lamentait, parce qu’elle venait de trouver le petit cochon qu’elle engraissait pour la Noël, terrassé par une de ces maladies qui ne pardonnent pas. C’était une perte sèche. « Qu’à cela ne tienne ! se dit-elle. Il faudra bien que quelqu’un me dédommage de cette perte ! » La route était en voie de goudronnage. La paysanne peignit, avec du goudron, deux raies parallèles sur le cadavre du défunt goret. Puis elle guetta le passage d’un automobiliste. Dès que celui-ci eut dépassé la bicoque de la vieille, celle-ci plaça le cochon au milieu de la route et cria : « À l’assassin ! » Le chauffeur stoppa, vint aux renseignements et paya sans murmurer ce qu’on lui réclamait pour ce meurtre supposé.

Quand il se fut éloigné, Charlot se montra : « Bien joué ! dit-il à la paysanne. Mais, je suis censé n’avoir pas vu votre petit manège et je ne vous dénoncerai pas. En revanche, s’il me prenait la fantaisie de me faire écraser moi-même — Car je ne possède pas de pourceau — et que vous en soyez témoin, je vous prie de ne pas me faire avoir d’histoires ! » La paysanne promit, et les deux larrons se séparèrent enchantés l’un de l’autre, La vue d’un épouvantail à moineaux donna à Charlot l’idée et l’occasion de mettre sur-le-champ son coupable projet à exécution. Ce mannequin représentait un personnage dé corpulence anormale. Pour le faire, on avait bourré de paille une espèce de combinaison de toile du plus grand format. Charlot s’y inséra, la rembourra de la dite paille, sauf à deux endroits qu’il marqua de deux raies peintes au goudron, de façon à simuler l’écrasement par les quatre roues d’une auto.

Ceci fait, Charlot s’établit derrière un arbre, en bordure de la route nationale. Là, comme l’araignée dans la toile guette la mouche imprudente, il guetta le passage de celui qui devait le couvrir d’or. Charlot le désirait le moins clairvoyant possible, afin de lui faire avaler cette couleuvre, sans contestation possible. Il le trouva en la personne d’un vieux monsieur tout glorieux de ce qu’il croyait faire du cent à l’heure, alors que sa petite voiture marchait à peine à 12 kilomètres. Dès qu’il fut passé, Charlot se coucha en travers de la route et se mit à crier : « Au secours ! À l’écraseur ! À l’assassin ! Qu’on l’emprisonne ! Qu’on le pende ! Qu’on le mette sur la chaise électrique ! — Calmez-vous ! implora le vieil automobiliste accouru à cet appel. Calmez-vous.… je vais vous indemniser ! » Et, sans prendre la peine de constater les blessures qu’il avait pu occasionner à Charlot, il lui mit un billet de mille francs dans la main, en lui disant : « Prenez ceci, et soignez-vous bien ! Oh ! ça va déjà beaucoup mieux ! » l’assura le maître fourbe.