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FIGURES DANS LA NUIT

elle se regardait comme morte au monde, où son fils la retenait seulement par le droit de la faiblesse et par la force du devoir. Elle attendait que Duccio fût sorti de l’enfance pour le remettre au soins du comte Guido et se cloîtrer dans un monastère.

Quand elle n’était pas à l’église, madame Lucrèce restait en sa chambre, avec ses femmes, à broder des ornements d’autel. La chambre, qui occupait la rondeur d’une tour, était peinte d’animaux et de feuillages, figurant un jardin de citronniers hanté par des bêtes chimériques, léopards, griffons, licornes, oiseaux-phénix de cent couleurs. Les trois fenêtres ouvraient sur trois horizons, et le riant Casentin apparaissait, découpé entre les lancettes de pierre, comme les volets d’un rétable. Les sommets du Pratomagne et des Alpes de la Serre étaient de pur outremer. Plus bas, sur des collines d’un vert de sinople, s’élevaient les châteaux-forts des Guidi, et la ville épiscopale de Bibbienne, couronnée de cyprès et de campaniles. Au creux de la riche vallée, plantée de vignes et d’olivettes, l’Arno torrentueux roulait ses eaux couleur de vipère sous les pâles peupliers.

Madame Lucrèce quittait parfois son ou-