Aller au contenu

Page:Tinayre - Figures dans la nuit.pdf/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
125
LÉGENDE DE DUCCIO ET D’ORSETTE

bâtons. Sur la civière improvisée, lui-même, de ses vieilles mains, disposa le manteau de velours, et sur ce manteau coucha la femme agonisante. Puis, Duccio et les trois autres novices prirent les bâtons par le bout.

– Allez, mes frères, et sans vous interrompre, récitez l’Ave Maria, dit le Père Bénédict.

La brume, dans la profondeur, s’évaporait lentement et, par degrés, surgissaient les collines, avec les tours crénelées, les villages, les prairies, l’Arno sinueux et jaune. Une étoile brillait encore, celle que les païens nomment Vénus, et le ciel, derrière le noir sommet de la Verne, devenait rose. Le reflet du jour naissant toucha la femme évanouie. Soudain, elle ouvrit des yeux sans pensée, verts comme les fontaines sous les feuilles. Elle regarda Duccio qui frémit, – et l’âme du novice, attirée par une infernale puissance, se perdit, avec délices, dans l’abîme glauque de ce regard. Cela ne dura que le temps d’un Amen, mais déjà Duccio n’était plus lui-même. Le sang brutal des Guidi se réveillait, l’assourdissait de sa rumeur. Et il ne retrouvait plus les