Aller au contenu

Page:Tinayre - Figures dans la nuit.pdf/177

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
169
LA SIRÈNE DE KERDREN

comme des maniaques inoffensifs. Autrefois, quand M. de Kerdren était au service du roi sur la frégate l’Aventureuse, son caractère fantasque et frondeur avait indisposé les amiraux et ralenti son avancement. Dans cette ville de Brest, où tout ce qui n’était pas garde-marine comptait pour rien, il fréquentait des gens que le « grand corps » avait excommuniés : des officiers de fortune, des bourgeois, des artistes comme Hue et Sartory. Aussi passait-il pour philosophe et disciple de Jean-Jacques. À la vérité, M. de Kerdren avait vu de trop près les races primitives pour croire au « bon sauvage », naturellement vertueux ; mais, dans ses relations avec l’espèce humaine, — qui lui semblait naturellement égoïste et méchante, — il cherchait la satisfaction de ses goûts personnels sans s’embarrasser d’aucun préjugé. Il avait la passion des sciences, et particulièrement de la géologie. La conversation des savants lui agréait donc beaucoup plus que la compagnie des caillettes. Il devait sa réputation de « philosophe » à ses manières plutôt qu’à ses idées, et cette même misanthropie qui l’éloignait des salons, lui donnait, aux yeux des sots, figure de philanthrope ! Quand la Révolution déferla