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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/101

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tent puisqu’elle voulait bien l’aimer. Jamais il n’avait rêvé l’amour d’une pareille créature, qui comprenait tout, s’intéressait à tout, ne s’étonnait de rien. Il se disait en frémissant qu’elle aurait pu rencontrer un débauché sans âme, et si vibrante, si curieuse, dépasser les autres femmes dans la perversité, comme elle les dépassait dans la tendresse. Comment pouvait-elle l’aimer, lui ?

Ils étaient si différents, séparés par tant d’obstacles. Et elle était venue à lui, bravement. Cette pensée l’attendrissait. Il était plein d’indulgence pour Jacqueline. Quand ils descendirent à Chaville, il était résolu à oublier son rôle de Mentor.

En quelques minutes, ils furent au cœur des bois, sur la grande voie royale du pavé de Meudon. Il était dix heures à peine. La tendre verdure des chênes, à peine dépliée, se découpait en dentelle sur le vaste ciel moiré d’argent. L’air sentait la terre et la sève, et dans les ornières creusées par les chariots, la pluie récente avait laissé des flaques qui brillaient sur la glaise brune comme les débris d’un miroir brisé. Des cavaliers passèrent, botte à botte, au galop de beaux chevaux ardents qui secouaient leurs mors, ouvrant leurs naseaux aux fraîches senteurs forestières. Un cantonnier traversa le chemin ; puis plus personne, le silence, le