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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/126

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core dit-il… Mais combien c’est étrange d’employer l’un et l’autre ces formes cérémonieuses du langage, quand on s’aime comme nous nous aimons, quand on a donné et reçu mille baisers.

Jacqueline était rouge comme les fraises qu’elle mangeait du bout des doigts…

— Si j’osais !…

— Oh ! fit-il, ce serait une joie de toutes les minutes… Allons, commencez…

— Commencez, vous !… Personne ne nous entend…

Il n’osait pas plus qu’elle et cette timidité les fit rire… Enfin, elle se pencha et sans le regarder :

— Donne-moi des fraises, veux-tu ?

— Et toi, donne-moi le sucre !

Ils rirent encore, de ces pauvres phrases bêtes qui inauguraient l’intimité nouvelle, le délicieux tutoiement. Puis ils s’enhardirent si bien qu’ils parlaient pour ne rien dire, mêlant les vous et les tu… Cette syllabe mystérieuse, merveilleuse, effrayante, caressait leurs lèvres comme un baiser… « Veux-tu ? vois-tu ?… m’aimes-tu ?… Je t’aime, toi !… « Quel délice de prononcer ces mots ! Il leur semblait qu’ils parlaient une autre langue, un idiome d’amour, inventé par eux, pour eux seuls.