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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/138

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conciliant presque, des sentiments contraires… Puis elle mit un baiser sur le papier qu’allaient toucher les doigts d’Étienne et écrivit l’adresse sans trembler… Par la fenêtre du salon elle apercevait madame Aubryot, assise sur la pelouse près de Jo qui dressait les arceaux d’un crocket. Grave, elle contempla ces deux êtres si chers, plaçant au milieu d’eux, par la pensée, celui qui ne lui était pas moins cher, malgré l’absence, les malentendus, la trahison. Paul ! que faisait-il à cette heure… ? Elle le vit, roulant dans un car américain, avec ses camarades français ; elle revit ses yeux clairs, sa moustache brune, son bel air de loyauté et de gaieté — et une immense tristesse déferla dans son âme. Ce n’était pas le remords, ce n’était pas le regret, c’était l’abattement d’un cœur impuissant à modifier sa destinée, c’était l’émotion qui saisit à la veille des actes irréparables… Elle ne se trouvait pas d’excuses et ne s’en cherchait pas ; elle ne ressentait même pas cette nette sensation de crime qui hante les femmes soumises à la morale religieuse, à l’influence des traditions et des préjugés. Mais elle ne pouvait retenir ses larmes, comme sur le cercueil d’un mort chéri, l’ancien, l’éphémère et charmant amour des