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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/164

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souffrance, lui qui adorait le spectacle de l’amour et du bonheur ? Aucune envie mesquine n’altérait sa sincère affection pour Suzanne, la sympathie naissante que lui inspirait Lussac. Mais il sentait la glace de sa solitude, l’affreuse fatigue d’un surhumain effort, et le regret, déjà, le regret qui suit les plus beaux héroïsmes dans les âmes les plus nobles quand l’enthousiasme de la lutte est tombé. « Je ne recommencerais pas ! pensait-il avec amertume… Non, je serais sans force contre une nouvelle tentation. J’ai usé toutes mes ressources d’énergie… » Il ne voulut plus regarder Jacqueline et s’abîma dans le recueillement pendant que Lussac, d’une voix chaude, grave et pure comme un chant de violoncelle, commençait l’admirable récitatif de Wolfram, au troisième acte du Tannhauser, évoquant la mélancolie de l’attente, de la prière et de l’amour dans un paysage d’automne, au pied de la Wartburg. Madame Mathalis accompagnait au piano, et ses yeux racontaient les confuses inquiétudes d’une âme récemment conquise à la passion. Elle se leva, après le dernier accord, et la voix de Lussac se fit plus douce pour la remercier. Devant ce couple d’amoureux qui révélaient leur tendresse par leur silence et leur regard, Étienne maudit l’acharnement du