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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/165

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sort, le volontaire anéantissement des dernières espérances.

« Moi aussi j’aime et je suis aimé. Moi aussi je pouvais aspirer à la félicité des amants clandestins, coupables, mais heureux. Ah ! tous les remords, toutes les révoltes, comme ils s’apaisent, comme ils s’évanouissent quand l’aimée tend ses bras, offre son sein, ouvre ses lèvres. Quel importun regret me poursuivait, le soir où Jacqueline pleurante s’abandonnait sur mon cœur ? Pourtant j’ai fait ce que j’ai dû. Il n’est donc aucune joie, aucune récompense dans la certitude du devoir accompli ? Je ne puis me résigner. Mon âme, mes sens, tout en moi souffre et proteste… Un héros, moi ! Je ne suis qu’un homme, et malgré moi, je veux l’amour humain, le frisson du cœur mortel et de la chair mortelle. Est-il un être qui se résigne à vieillir sans avoir connu le bonheur, satisfait sa soif d’infini dans le baiser d’une femme ? Ah ! pourquoi n’ai-je pas vaincu le scrupule suprême, la suprême pudeur de Jacqueline ! J’aurais vécu dix vies dans la nuit de félicité. »

Le violon marié au piano élevait sa plainte harmonieuse. Dans le silence, où l’odeur des roses se mêlait aux parfums des femmes, où l’aile fatiguée du vent de la nuit soulevait la draperie multicolore,