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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/185

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L’institution du jury a pris naissance dans une société peu avancée, où l’on ne soumettait guère aux tribunaux que de simples questions de fait ; et ce n’est pas une tâche facile que de l’adapter aux besoins d’un peuple très civilisé, quand les rapports des hommes entre eux se sont singulièrement multipliés et ont pris un caractère savant et intellectuel[1].

Mon but principal, en ce moment, est d’envisager le côté politique du jury : une autre voie m’écarterait de mon sujet. Quant au jury considéré comme moyen judiciaire, je n’en dirai que deux mots. Lorsque les Anglais ont adopté l’institution du jury, ils formaient un peuple à demi barbare ; ils sont devenus, depuis, l’une des nations les plus éclairées du globe, et leur attachement pour le jury a paru croître avec leurs lumières. Ils sont

  1. Ce serait déjà une chose utile et curieuse que de considérer le jury comme institution judiciaire, d’apprécier les effets qu’il produit aux États-Unis, et de rechercher de quelle manière les Américains en ont tiré parti. On pourrait trouver dans l’examen de cette seule question le sujet d’un livre entier, et d’un livre intéressant pour la France. On y rechercherait, par exemple, quelle portion des institutions américaines relatives, au jury pourrait être introduite parmi nous et à l’aide de quelle gradation. L’État américain qui fournirait le plus de lumières sur ce sujet serait l’État de la Louisiane. La Louisiane renferme une population mêlée de Français et d’Anglais. Les deux législations s’y trouvent en présence comme les deux peuples et s’amalgament peu à peu l’une avec l’autre. Les livres les plus utiles à consulter seraient le recueil des lois de la Louisiane en deux volumes, intitulé : Digeste des lois de la Louisiane ; et plus encore peut-être un cours de procédure civile écrit dans les deux langues, et intitulé : Traité sur les règles des actions civiles, imprimé en 1830 à la Nouvelle-Orléans, chez Buisson. Cet ouvrage présente un avantage spécial ; il fournit aux Français une explication certaine et authentique des termes légaux anglais. La langue des lois forme comme une langue à part chez tous les peuples, et chez les Anglais plus que chez aucun autre.