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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/186

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sortis de leur territoire, et on les a vus se répandre dans tout l’univers : les uns ont formé des colonies ; les autres des États indépendants ; le corps de la nation a gardé un roi ; plusieurs des émigrants ont fondé de puissantes républiques ; mais partout les Anglais ont également préconisé l’institution du jury[1]. Ils l’ont établie partout, ou se sont hâtés de la rétablir. Une institution judiciaire qui obtient ainsi les suffrages d’un grand peuple durant une longue suite de siècles, qu’on reproduit avec zèle à toutes les époques de la civilisation, dans tous les climats et sous toutes les formes de gouvernement, ne saurait être contraire à l’esprit de la justice[2].

Mais quittons ce sujet. Ce serait singulièrement ré-

  1. Tous les légistes anglais et américains sont unanimes sur ce point. M. Story, juge à la Cour suprême des États-Unis, dans son Traité de la Constitution fédérale, revient encore sur l’excellence de l’institution du jury en matière civile. « The inestimable privilege of a trial by jury in civil cases, dit-il, a privilege scarcely inferior to that in criminal cases, which is conceded by all persons to be essential to political and civil liberty. » (Story, liv. III, chap. xxxviii.)
  2. Si l’on voulait établir quelle est l’utilité du jury comme institution judiciaire, on aurait beaucoup d’autres arguments à donner, et entre autres ceux-ci :

    A mesure que vous introduisez les jurés dans les affaires, vous pouvez sans inconvénient diminuer le nombre des juges ; ce qui est un grand avantage. Lorsque les juges sont très nombreux, chaque jour la mort fait un vide dans la hiérarchie judiciaire, et y ouvre de nouvelles places pour ceux qui survivent. L’ambition des magistrats est donc continuellement en haleine et elle les fait naturellement dépendre de la majorité ou de l’homme qui nomme aux emplois vacants : on avance alors dans les tribunaux comme on gagne des grades dans une armée. Cet état de choses est entièrement contraire à la bonne administration de la justice et aux intentions du législateur. On veut que les juges soient inamovibles pour