Aller au contenu

Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émancipés sont placés sur le même sol comme des peuples étrangers l’un à l’autre, on comprendra sans peine qu’il n’y a plus que deux chances dans l’avenir : il faut que les nègres et les blancs se confondent entièrement ou se séparent.

J’ai déjà exprimé plus haut quelle était ma conviction sur le premier moyen[1]. Je ne pense pas que la race blanche et la race noire en viennent nulle part à vivre sur un pied d’égalité.

Mais je crois que la difficulté sera bien plus grande encore aux États-Unis que partout ailleurs. Il arrive qu’un homme se place en dehors des préjugés de religion, de pays, de race, et si cet homme est roi, il peut opérer de surprenantes révolutions dans la société : un peuple tout entier ne saurait se mettre ainsi en quelque sorte au-dessus de lui-même.

Un despote venant à confondre les Américains et leurs anciens esclaves sous le même joug parviendrait peut-être à les mêler : tant que la démocratie américaine restera à la tête des affaires, nul n’osera tenter une pareille entreprise, et l’on peut prévoir que, plus les blancs des États-Unis seront libres, plus ils chercheront à s’isoler[2].

  1. Cette opinion, du reste, est appuyée sur des autorités bien autrement graves que la mienne. On lit entre autres dans les Mémoires de Jefferson : « Rien n’est plus clairement écrit dans le livre des destinées que l’affranchissement des noirs, et il est tout aussi certain que les deux races également libres ne pourront vivre sous le même gouvernement. La nature, l’habitude et l’opinion ont établi entre elles des barrières insurmontables. » (Voyez Extrait des Mémoires de Jefferson, par M. Conseil.)
  2. Si les Anglais des Antilles s’étaient gouvernés eux-mêmes, on peut