Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/381

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Il l’avait vue pour la dernière fois dans la villa de sa cousine, la princesse Betsy ; il allait le plus rarement possible à la villa des Karénine. Ce jour-là, cependant, il voulait y aller et se demandait quel motif il aurait de s’y présenter.

« Je dirai que Betsy m’a envoyé lui demander si elle a l’intention d’aller aux courses. Oui, c’est cela », résolut-il, en relevant la tête de dessus son livre. Et se représentant vivement le bonheur de la voir, son visage devint rayonnant.

— Envoie chez moi, et qu’on attelle au plus vite la troïka, dit-il au domestique qui lui remit le bifteck sur un plat d’argent très chaud.

Il commença à manger.

De la salle de billard voisine arrivait le bruit du jeu, des conversations et des rires. À la porte d’entrée parurent deux officiers, l’un très jeune, au visage malingre, fin, arrivé récemment du corps des pages au régiment, l’autre, un vieil officier, gros, les yeux boursouflés, un bracelet au bras.

Vronskï, en les apercevant, fronça les sourcils, et feignant de ne pas les voir, jeta un regard oblique vers le livre et se mit à manger et à lire à la fois.

— Eh bien ? Tu prends des forces ? lui demanda le gros officier en s’asseyant près de lui.

— Tu le vois, répondit Vronskï en fronçant les sourcils et s’essuyant la bouche, sans le regarder.

— Et tu n’as pas peur de grossir ? reprit l’autre en avançant une chaise pour le jeune officier.