Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/256

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— Depuis quatorze ans je ne fais que cela, dit la femme.

— Eh bien, est-ce pénible ?

— Oui, ça fait mal à la poitrine, et l’odeur fatigue.

D’ailleurs, elle n’avait pas besoin de le dire. Il suffisait de les regarder, elle et la fillette. Celle-ci fait ce métier depuis trois ans, mais quiconque la verrait à ce travail dirait que sa forte constitution commence à se détruire.

Mon ami, un homme bon, libéral, avait loué ces femmes pour préparer ses cigarettes à raison de deux roubles cinquante kopeks le mille. Il a de l’argent, il le donne pour le travail ; qu’y a-t-il de mal ? Mon ami se lève vers midi ; de six heures du soir à deux heures de la nuit, il joue aux cartes ou au piano, il se nourrit d’une nourriture saine et succulente. Tout son ouvrage est fait par les autres. Il s’est inventé le nouveau plaisir de fumer. Je me rappelle quand il a commencé à fumer.

Il y a une femme et une fillette qui gagnent à peine de quoi manger en se transformant en machines, elles passent toute leur vie à respirer le tabac et ruinent leur santé. Lui, il a de l’argent qu’il n’a pas gagné et il préfère jouer au whist que de préparer ses cigarettes. Il donne de l’argent à ces femmes sous condition seulement qu’elles continuent de vivre dans la situation malheureuse où elles se trouvent, c’est-à-dire en faisant pour lui